derne, dont je ne savais pas d’ailleurs douze paroles. Par signes, à mon
tour, je tentai de lui faire prendre les petites pièces blanches que je
trouvais dans mes poches; elle regarda mon argent comme si elle eût
paru ne pas beaucoup s’en soucier, en portant la main à sa bouche,
pour indiquer qu’elle aimerait mieux de quoi manger afin de conserver
son lait. Durant le reste de notre séjour à Modon, je lui ai fait tenir
chaque jour des vivres en abondance, et mon valet de chambre Yillars,
qui les lui portait, m’apprit plus tard que « l’hôtesse des tombeaux,
« comme il la désignait, ne nous avait pas parlé parce qu’elle n’avait
« pas de langue, les soldats d’Ibrahim la lui ayant coupée. * Nous avons
souvent rencontré, par la suite, de malheureuses filles auxquelles on
avait fait subir la même opération, mendiant sur les chemins; elles
sollicitaient la pitié des passans, en ouvrant piteusement la bouche, et
tenant leur menton de la main gauche, tandis qu’avec deux doigts de
la main droite elles imitaient au devant des lèvres le mouvement des
ciseaux avec lesquels on les avait mutilées.
En face du caveau que nous venions de trouver habité, était creusée
dans le roc vif, sur la paroi de droite, une autre pièce carrée qui doit
avoir été l’oratoire des catacombes. C’est là que se disaient probablement
des prières pour les morts. On y entre par une porte basse et étroite,
mais assez carrément taillée. Nous trouvâmes du haut en bas sur toutes
ses faces, fort unies, des traces de vieilles peintures, dans le genre de
celles dont les murs de la petite chapelle ruinée de la plaine sont tout
chargés (p. 59); mais comme ces peintures ont été plus maltraitées par
l’humidité, il est impossible d’y rien distinguer aujourd’hui.
Ce fut dans cette même excursion, qui eut lieu le 10 Mars, que nous
commençâmes à trouver des tortues; ne connaissant pas encore les
habitudes de* ces reptiles, nous ne savions où les prendre. Il ne faut
pas les chercher seulement dans les buissons ; elles se tiennent, assez
volontiers au soleil sur les espaces arides, à portée des trous ou des
amas de rochers sous lesquels elles se puissent blottir au besoih.;Ce fut
un chien arrivant avec nous d’Europe qui nous les fit découvrir.
11 en avait d’abord eu peur, puis il s’habitua à les tenir en arrêt.
La première tortue que nous trouvâmes avait été surprise par cet
animal sur la pointe d’une pierre où nous avions peine à concevoir
qu’elle eût pu grimper.
La Morée nous a fourni deux espèces fort distinctes de tortues, lesquelles
furent évidemment confondues d’abord sous le nom linnéen de
testudo groeca. Elles sont très-communes en certains cantons, particulièrement
en Elide, en Messénie et en Argolide, jusques assez avant
dans l’intérieur des terres. On n’en rencontre guère dans les hautes
montagnes, quoique,, en parlant du Parthénius, Pausanias ait dit1 :
« Ce mont nourrit beaucoup de tortues, dont l’écaille est propre à faire
« des lyres; mais les gens du lieu, qui croient que ces animaux sont
« consacrés à Pan, se font un scrupule de les tuer. * Le même auteur
rapporte9 que l’un des sommets du Cyllène est appelé Ghélidore parce
que « Mercure, y ayant trouvé une tortue fort grosse, l’ouvrit, la tua
« et se fit une lyre de son écaille. ” On n’en trouve pas^davantage
sur les plateaux des parties centrales , quoiqu’elles se plaisent en
général au milieu des rochers, où nous les avons vues monter malgré
leur pesanteur et leur maladresse sur des escarpemens presque impraticables.
J’ai des raisons de croire que l’on rencontre l’une et l’autre en
Calabre, en Sicile, en Sardaigne, en Corse et sur les côtes barbaresques.
Je ne me souviens pas de les avoir vues dans les parties méridionales
de l’Espagne, où même je crois n’en pas avoir entendu parler. Çe
qu’on m’y a plusieurs fois montré sous le nom de galapago, était une
émyde, que j’ai retrouvée dans l’Euratos, et dont M. Yalenciennes a
fait représenter la carapace dans la planche YIII de la troisième série
de notre atlas. La plus grande de nos deux tortues est plus alongée et
beaucoup plus bombée que l’autre; elle est aussi plus amincie dans son
pourtour vers le milieu, noirâtre quand le centre de ses plaques assez
proéminentes n’est pas devenu couleur de corne en s’usant ; sa carapace
se termine postérieurement par une seule grande écaille impaire, ornée
d’un triangle fortement strié, et qu’on pourrait appeler uropigiale, parce
1. Pausanias, ïib. YIII, cap. 54«
2. Idem, lib. VIII, cap. 17.. Il ajoute (lib. XXHI) : que le bois de Soron, comme toutes les
forêts d’Arcadie, nourrit des tortues monstrueuses, dont on fait des lyres aussi belles que celles
qui se font des tortues des Indes.