de Modon; il trouva que la vanesse belle-dame, seul papillon de l’île,
s’y rencontrait en plus grand nombre que partout ailleurs : ainsi
Sapience fut en peu d’heures explorée sous tous les rapports.
Evidemment'sortie'-du fond des mers par suite d’un bouleversement
général dont les contrées voisines portent l’empreinte, résultat d’un
immense fracassement longitudinal qui, entre les trentième et quarante-
cinquième parallèles fendit d’Orient en Occident un ancien continent
pour interposer notre Méditerranée entre deux - continens distincts,
Sapience n’a pourtant rien de volcanique. La personne dont un auteur
estimable intercale dans ses écrits une notice sur l’île qui nous occupe,
en donnant cettenotice « comme modèle à suivre par les voyageurs qui
« seront appelés à visitë’r l’Archipel1 ”, s’est donc trompée quand elle
y a vu le résultat d’une éruption; elle s’est également trompée sur tout
ce qu’elle dit du reste du pays, où nul de nous n’a reconnu ni traces
de maçonnerie antique, ni grottes retentissantes comme des nefs d’église
gothique, avec des pavés sous-marins en manière de tapis de Perse, etc.
Sapience, dans toute son étendue, et de ses racines à son faîte, appartient,
comme il a été dit tout à l’heure , au système entièrement calcaire
du mont Saint-Nicolo.
En s’élevant droit devant soi du fond de la baie, on gravit par des
pentes un peu plus accessibles que celles de tout le reste du pourtour ;
mais ces pentes n’en sont .pas moins fort difficiles à escalader; nous
trouvâmes en haut une manière de col, liant le point le plus^élevé^de
l’île et les remparts abruptes des sommets de gauche. Derrière un grand
fragment de rocher, qui forme un monticule dans cette direction, je
parvins à l’origine d’un petit vallon, «descendant vers l’une des criques
inabordables du Nord ; quelques gros troncs d’arbres, qui ont été
cpupés et brûlés sur place, y demeuraient charbonnés comme des traces
d’une destruction récente ; et probablement sous leur ombrage quelque
pauvre grec, vivant dans une mauvaise caverne du voisinage, avait
cultivé les interstices des pierres; ce que je supposai à l’avoine usuelle,
aux beaux lupins, aux pois comestibles, ainsi qu’à plusieurs touffes de
i . Yoyage de la Grèce, t. VI, p. 64-
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blé que j’aperçus fleurissant çà et là : j’y trouvai aussi le cadavre
d’un cheval mort depuis peu. On jette souvent de ces animaux avec
des chèvres malades sur Sapience avant la saison des pluies, dans
. l’espoir qu’ils s’y rétabliront sans coûter le moindre soin à leur-propriétaire.
Quand on ne parvient pas à les reprendre, lorsque rétablis
ils sont devenus trop agiles, ils meurent ordinairement de soif vers la
fin de l’été où l’eau vient à manquer entièrement.
La Mandragore, parée de ses fleurs printanières, mêlées aux fruits
provenus des fleurs de l’automne passé, les oignons souvent énormes
de la scille maritime, de jolis iris d?un bleu tendre, des anémones
d’un rouge vif, et autres plantes que nous avions déjà observées sur le
col de Navarin, formaient le fond de la végétation locale, où dominaient
par leur prodigieuse quantité , les plus élégans cyclames que j’aie jamais
rencontrés.
Ce fut entre les fentes des pierres qu’ornaient les corolles penchées
et les feuilles peintes de ces cyclames, que je surpris pour la première fois
un reptile des moins connus, et qui jusqu’ici n’avait guères été trouvé
authentiquement qu’en Sibérie. Je veux parler du shelptopusik de
Pallas1. Ce lézard serpent commençait à sortir de son trou, soit pour
se réchauffer aux rayons du soleil déjà ardent, soit pour obéir à
l’influence amoureuse de la nouvelle saison. Comme il n’existait encore
de cet animal que de mauvaises figures, où il' est représenté roulé, et
que je ne l’avais point vu dans les galeries du Muséum, où l’on ne le possédait
point, je ne le reconnus pas d’abord, et njpsant, dans la crainte
qu’il fût venimeux, me jeter sur lui pour le saisir, je l’assommai d’un
coup de crosse de*£usil,-qu’il ne fit pas de grands mouvemens pour
éviter: je fus bien fâché de ne l’avoir pas pris vivant, lorsque, lui ayant
ouvert les mâchoires, je reconnus qu’il ne s’y trouvait point de crochets.
L’individu que je venais de tuer sera décrit soigneusement par Mi Va-
lenciennes dans la-partie erpétologique du présent ouvrage, et figuré avec
son squelette dans la troisième série de nos planches ; il avait plus de
deux pieds de longueur. Sa couleur uniforme tirait sur le marron pâle; sa
i. Pseudopus Pallasii, Cuv., R. A., 2.e ¿dit.., t. H , p. 69. Lacerla apoda, Pallas, Nov. com.
Pclr. XIX, pl. IX, fig. 1 j Yojage, t. V, p . 49a. Encycl. méth., Reptiles, pl. 12, fig. 7.