quon appelle la grande route de Tripolitza. La jonction a lieu a la
descente du vallon de la Djalova, que nous traversâmes dans sa région
mitoyenne, près des ruines d’un moulin qu’environnait la plus brillante
végétation. Parmi des Aubépines fleuries, de la plus haute venue et
semblables à des Pommiers, je vis des Nérions de plus de quinze
pieds. Au-dessus des masses d’un feuillage aussi varie quepáis s ouvrait
sur la droite une gorge de rochers vërdoyans, dans l’ecartement desquels
s’apercevait le confluent lointain de deux autres encaissemens dont l’un
ou l’autre pouvaient être indifféremment considérés comme l’origine
de la rivière. L’aqueduc duquel nous avions retrouvé les traces, passait
à mi-hauteur de la brèche et de l’une à l’autre de ses parois comme un
pont étroit soutenu par des piliers qui s’arrondissaient en humides arcades
couronnées de Prêles {Equisetum jluviatile, n. 4323), croissant
entre des guirlandes de Ronces et de Douce-amere (n. d4 5). On
reconnaîtra dans la vignette du présent chapitré, oii se trouve figurée cette
partie del'Hydragogue de Navarin, comme l’appelle M. de Pouqueville,
que nuls débris « d’une des constructions cydopéennesles plus anciennes
du Péloponnèse” n’entre dans sa composition. C’est tout au plus si 1 on
y aperçoit quelques mesquines pierres détaillé; il est entièrement bâti
avec des véritables moellons, à la manière des Vénitiens et des Turcs,
qui, tout en soignant assez leurs constructions hydrauliques, ne montrèrent
jamais la prétention de leur imprimer de formes monumentales.
Nous rencontrâmes, en descendant dans le lit de la Djalova par le
ravin que -sùit la route, des officiers français qui venaient de faire ce
qu’on appelait dans l’armée libératrice leur tour de Grèce. Ils avaient
visité Messène, Mántinée, Argos et Corintbe; mais ils n’avaient point
dépassé l’isthme.
Commençant à s’élever sur le plateau de Koubeh après le moulin,
le chemin ne s’éloigne bientôt plus de l’aqueduc, qu’il longe à peu
près parallèlement jusqu’au lieu de sa naissance, ou nous arrivâmes
après une bonne demi-heure de marche par une pente insensible. Le
conduit en était défoncé en plusieurs endroits. On s’occupait de sa réparation
par ordre du général en chef, dont la sollicitude ne se bornait
pas uniquement à ce qui concernait l’armée, et nous trouvâmes en
divers lieux des sapeurs du génie vérifiant les regards du canal en
tous lieux ou son cours s’enfoncait sous terre. L’eau en était exquise,
fraîche, claire, abondante et rapide. La fécondité du sol se décelait dans
toute la surface du plateau par l’abondance des plantes sauvages qui
s’y pressaient. De grands espaces y ressemblaient à nos plus jolies
prairies d’Europe aux endroits que n’avaient point encore envahis de
vigoureux buissons ou des bocages composés d’arbustes semblables,
pour la hauteur et l’aspect, à nos plus forts taillis. On voyait qu’il y
avait eu de grands arbres aussi avec des champs cultivés ; mais le
fléau de la guerre n’avait pas plus épargné les uns que les autres. Les
arbres avaient été abattus et brûlés, et les champs abandonnés s’étaient
couverts de cette Fougère {Pteris aquilina, n.° 4342 et) si commune
dans nos landes, ou son feuillage fournit une excellente litière pour
les bestiaux. Arrivés à la prise d’eàu de l’aqueduc, nous fûmes surpris
de n’y pas trouver de village, ou du moins quelque maison de paysan;
ailleurs les hommes n’eussent point négligé de s’établir dans un site
pareil, si bien: arrosé et dont la terre serait si productive. La mal-propre
baraque d’un pauvre cabaretier s’élevait seule à proximité. Si nous eussions
compté sur les provisions qu’on y devait trouver, nous eussions
bien mal déjeûné. Dès figues sèches en chapelet, des membres salés de
Poulpes {Octôpus vulgaris), du pain noir, du fromage semblable à
du carton et du petit vin saturé de résine en poudre, composaient les
ressources que pouvait offrir aux passans la cantine de Koubeh. A
l’époque ou nous voyagions en Morée, les kans n’étaient guère fournis
d’autres choses. Ces kans, diminutifs des caravansérais de l’Orient, sont
les seuls asyles qu’on rencontre de distance en distance sur les routes
de la Grèce: ils avaient beaucoup souffert de l’invasion arabe; la plupart
étaient abattus et abandonnés. Dans les temps de paix on était à
peu près sûr d’y trouver un marchand établi tenant du riz, d’assez bon
pain, des oeufs, du vin de Santorin, quelquefois même du gibier et du
poisson. On pouvait s’y procurer d’excellens moutons à fort bon marché;
notre troupe consommait ordinairement un ou deux de ces animaux
par jour, et les plus beaux ne coûtaient guère que six francs, de sorte
qu’avec un cuisinier tant soit peu passable, on eût autrefois vécu assez
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