armés semblaient monter la garde dans le temple même, et nous assurèrent
qu’ils y veillaient à la sûreté du pays. Ils ressemblaient, a mon
sens, moins à des soldats qu’à ces brigands inhospitaliers qui, pour avoir
jadis égorgé sur le même lieu des malheureux qui s’étaient venus mettre
sous la protection du dieu qu’on y invoquait, causèrent l’une des guerres
d’esdaves de Messène : si cet endroit n’eût point été absolument infré-
quenté, je n’eusse point douté que de telles sentinelles s’y tinssent en
embuscade pour détrousser les passans, et si le ciel rembruni eût couvé
quelque tempête, je les eusse cru à l’affût des naufragés que la mer.leur
pouvait jeter. Malheur, en effet, à celui que les vagues poussent sur un
affreux rivage, où tout ce que vomissent les flots est considéré comme
une proie légitime envoyée par Dieu, des bontés duquel on s’exposerait
à ne plus rien recevoir, si on négligeait une fois d’en profiter. Le temple
de Neptune domine le petit bassin carré, creusé dans la baie du côte
de l’Orient; au fond de l’autre enfoncement sont d’évidens soubasse-
mens d’un autre édifice détruit, et tout autour il y a des décombres
avec des restes de maisons. On peut reconnaître quelle fut la distribution
de plusieurs d’entre elles, qui n’ont pas dû être renversées depuis bien
long-temps; il y eut même naguère des cultures. On voit plusieurs citernes,
dont une contenait encore de fort bonne eau ; un pyrgo s’élève sur la pointe
d’une hauteur conique peu éloignée. Nous découvrîmes encore ici, car le
hasard nous y faisait aborder les premiers, une route de chars antique
creusée dans le roc, et la plus distincte peut-être qui reste des temps reculés
: cette voie conduisait indubitablement du temple, qui était un lieu
d’asyle des plus renommé, aux ports voisins d’Achilléus et dePsammatus;
nous y vîmes également sur un bloc de Marbre blanc d’environ deux
pieds, une inscription qui gisait à demi plongée dans la mer, d’où nous
la retirâmes pour la copier et l’exposer plus dignement.1
• i . Elle pourrait bien être demeurée inachevée, car elle n'occupe guère que la moitié supérieure
du bloc où je la trouvai, et dont j’ai indiqué la forme dans la vue que j’ai prise de Kisternes
(voyez lacvignette de la p. 4 4 6 ). Je la donnerai telle que je l’ai calquée:
. TEAPXOT
. ONIOT MAI
a p x ie h ©t t a
t h £
On en retrouve une semblable, mais plus complète, dans le Corpus inscriptiomm groecarum,
p. 1 7 5 , n.° 1412, comme de Sparte.
Dés Statices rigides au feuillage glauque (n.os 424, 425 et 426), la
Philomide frutescente (n.° 773), la Scrophulaire canine (n.° 809), dont
la fleur commençait à passer, composaient, avec l’odorant Thym de
Crète (n.° 782), toute la végétation de ce site sauvage, qui pourrait
bien être le canton que, dans le moyen âge, des chroniqueurs ont
appelé Cuistèrne et Ghistèrna.
Ayant regagné notre brigg et doublé le cap Matapan, je fis gouverner
le long des côtes, depuis la pointe où nous étions descendus jusqu’au
cap Grosso, l’antique Thyridés, moins célèbre que le Ténare, mais
non moins dangereux. Sur le point culminant du plateau qui couronne
le promontoire, sont les ruines d’un ancien fort, qu’on nous dit se nommer
Orioskastro, et le sol y est criblé d’innombrables citernes, la plupart
effondrées. On y est à un peu plus de 300 mètres d’élévation; et
la côte, semblable à une gigantesque muraille, est taillée à pic dans tout
son pourtour1 : c’est peut-être lui qui, chez les anciens, passait pour
recéler l’une des portes des enfers; les excavations profondes qu’on
aperçoit à sa base, et desquelles sortent, quand les flots s’y engouffrent,
des mugissemens qu’on prenait pour la voix de Cerbère, pourraient le
faire supposer. Nous renverrons aux travaux delà section d’architecture,
pour les restes de l’antiquité dont ces lieux sont tous remplis ; nous
y reconnûmes, non loin du rivage, un monastère de Cyparissa, voisin
de l’emplacement de Coenopolis, avec une maison de douane. Les bourgs
de Yiporo, de Boularious, d’Alika, de Tsikalia et de Yathiay sont, qu’on
me passe cette expression, perchés sur divers échelons de montagnes
escarpées, dépouillées, grisâtres et d’un aspect sinistre; une multitude
de pyrgos sont épars sur les moindres mamelons et font connaître, d’une
grande distance, que les habitans vivent en défiance les uns des autres :
aucun gouvernement, aucun lien social, n’existent plus, où cependant
furent des villes florissantes dans les beaux siècles de l’antiquité. Ce n’est
jamais sans danger qu’on se hasarde à pénétrer sur un territoire où
l’homme semble être essentiellement ënnemi de l’homme et ne reconnaît
que la loi du plus fort; cependant, qui le croirait, le nom de Lycurgue
i . Voyez la vignette de la p. 3 7 5 , dans le tome II du présent ouvrage, où le cap Grosso se
trouve représenté.