empreints dans la roche calcaire du chemin en escalier qu’il nous
fallut tenir, qu’on distinguait à peine la fin de plusieurs des trous qui
en étaient résultés, et que deux bêtes, que nous avions prises pour porter
quelques provisions le plus loin possible dans la montagne, s’y engageaient
jusqu’au tiers de la jambe. On voyait au loin, sur la droite,
Prastos ou Prastios, qui compte de 180 à 200 familles ; peu après sont
des grottes d’oh l’on tire du sable provenant de la décomposition des
parties inférieures d’une couche de Grès mou qui s’étend a droite et a
gauche, confondu avec d’autres couches de Calcaire grossier. Au milieu
du banc de pierres dures sur lequel on chemine ensuite, nous remarquâmes
un trou non moins singulier par sa profondeur que par la
grosseur des quartiers de roche qu’on en avait retirés, et dont la plupart
étaient ensuite retombés dans le trou même en l’encombrant. Nous le
primes d’abord pour quelque carrière exploitée a ciel ouvert : « D y a
<î dix ans à peu près, nous dit l’un de nos guides donnés parMourdzinos,
qu’un riche particulier de Messénie passant par ici, pris de vin, s’y
endormit; il rêva que sous la place où il était couché, se trouvait
« un caveau rempli de trésors, et courut, à son réveil, trouver notre
~ glorieux capitaine pour lui faire part de sa découverte, en lui proposant
de creuser à frais communs pour s’approprier les richesses
« immenses que renfermait le sol. Mourdzinos, en homme prudent, ne
« voulut point entrer dans cette dépense; mais il autorisa l’étranger à
creuser tant qu’il voudrait, ne se réservant que la dîme de ce qu’il
« pourrait obtenir de ses fouilles. Le Messénien creusa donc et boule-
* « versa tout l’espace que vous voyez ici sens dessus dessous; il y ensevelit
tout son bien, et ne découvrit pas un thalari.” Nous avons vu
la même chose en beaucoup d’autres lieux ; on nous a montré dix trous
pareils où des chercheurs de trésors se sont ruinés, particulièrement à
Coronis, à Mégalopolis, en Argolide, ainsi qu’à Salamine. Il est peu de
Grecs qui ne soient encore prêts à fouiller la terre en tout lieu où la
moindre indication superstitieuse leur fera soupçonner l’existence de
richesses enfouies, et cette maladie de leur esprit est fort ancienne; il
en est fait mention en beaucoup de pages de leur histoire : on sait
qu’Épaminondas lui-même ne retrouva l’urne cachée sur l’Itbome par
Aristomène que pour avoir eu des révélations nocturnes, et Pausanias
nous rapporte sérieusement que ce fut Conon qui apparut en songe à ce
grand homme pour lui montrer la place où l’on devait creuser. Le même
auteur’ cite, comme ayant existé dans le canton où nous sommes, « un
'temple et un oracle d’Ino où l’on apprenait l’avenir en dormant, la
ï déesse montrant par des songes ce qu’on désirait savoir. ” Cette superstition
s’étendit à presque tous les peuples avec lesquels les Grecs. se
mirent en communication; on la retrouve jusqu’en Libye, et sur les confins
de la Cyrénaïque, et le bon Hérodote5 nous raconte que chez les Nasa-
mons, qui sont acrydophages et voisins du pays des Dattes, « on se rend,
«. pour exercer la devination, au tombeau de ses ancêtres, pour y prier, y
4 dormir ensuite, et régler sa conduite d’aprèsles songes qui surviennent. ”
Androuvista, où nous arrivâmes peu après, chef-lieu d’un canton qui
se. compose d’une quinzaine de villages, est un petit bourg où réside
l’évêqüe de Sparte occidentale: une vingtaine de maisons, dispersées
sur des pentes fertiles entre des arbres fruitiers, le composent; des deux
églises qui s’y trouvent, la plus grande, à peu près carrée, contient quelques
débris vénitiens, entre autres de vilains Griffons sculptés sur des
chapiteaux difformes; on m’a dit depuis qu’il s’y trouvait des inscriptions
antiques, mais elles m’ont échappé. Des tombeaux voûtés, dont trois sont
assez remarquables par leur structure, s’élèvent au pourtour; des têtes de
morts blanchies par le temps et pieusement déposées dans des niches qui
s’y trouvaient pratiquées, présentaient les caractères ostéologiques d’où
le plus beau profil d’une figure humaine puisse résulter. Au sortir
d’Androuvista, on descend au fond de l’épouvantable torrent qui passe
au loin sous Scardamula, en laissant à droite une première fontaine qui
sort des rochers et que remplissait d’excellent Cresson : au fond de l’encaissement
sont des moulins, situés de façon à ne point être emportés par
les crues d’eau; il y existe aussi des grottes vastes, profondes, d’un accès
difficile, et dans lesquelles les habitans du pays se pourraient retirer et
défendre au besoin. Hs nous dirent qu’elles étaient fort curieuses à voir,
mais qu’ils n’aimaient point à y conduire les étrangers.
™ i . LU. HI, cap. 26, au commencement.'— 2. Dans son chapitre 4, intitulé Melpomène,
livre IV, S- 172.