défigurée en cet endroit, ou le récit du chroniqueur est inexact; quoi
qu’il en soit, après avoir conquis Modon, le Champenois revint sur
Ârcadia: « Ayant paru déVant la ville vers midi, il déploya ses tentes
« dans la plaine, et somma les Grecs de se rendre aussitôt. Ceux-ci
« s’y refusèrent, attendu que le château est situé sur un rocher d’un
«' difficile accès, et qu’il est protégé par une tour très-forte, bâtie du
« temps des Hellènes. Ils étaient bien approvisionnés et espéraient ne
« pas être obligés de se rendre. Le jour entier se passa ainsi; mais à la
« pointe du jour suivant, le Champenois ordonna de dresser les trébu-
« chets; de l’autre côté les arbalétriers attaquèrent avec vigueur; les
« Arcadiotes, en voyant cette attaque formidable, élevèrent une croix
« haute en demandant quon les reçut à capitulation. Le maréchal mes-
« sire Geoffroi fit aussitôt cesser les hostilités. Les Arcadiotes deman-
« dèrent à conserver leurs franchises et leurs propriétés ; on le leur pro-
« mit par serment, et la place fut livrée.1” Comme le château venait
de se rendre, Guillaume de Champlitte apprit la mort de son frère aîné,
le comte de Champagne, et se détermina à retourner en France. Avant
son départ, il distribua le pays à ses guerriers, comme Guillaume le
Conquérant l’a fait en Angleterre. Ses principaux officiers eurent des fiefs,
dont la valeur et le rang étaient proportionnés aux emplois qu’ils avaient
occupés dans l’armée, ainsi qu’à leurs services; sans qu’il soit parlé
de ce qui fut laissé ou donné aux habitans du pays, dont; cependant
plusieurs paraissent avoir été des seigneurs ou des personnages puissans.
Le maréchal, qui n’avait rien réclamé d’une conquête oii il s’était pourtant
si distingué, procéda, avee deux prélats, deux barons et cinq
autres chefs, au partage des terres; alors le Champenois, admirant le
désintéressement de son compagnon de gloire et principal conseiller,
lui donna un anneau d’or, et l’investit de la mense de Calamata et
d’Arcadià, en lui disant :
«Messire Geoffroi, dores et en avant vous êtes mon homme lige;
« maintenant vous tenez vos terres sous ma suzeraineté; votre devoir
« ést de m’être soumis en toutes choses. Je vous confierai de mon côté
« toutes mes affaires; et, puisque je dois passer en France, je vous prie,
i . Chronique de Morée, p. i 3i .
« je vous ordonne même , de recevoir de moi, et de tenir par affection
« pour moi, tous les pays que j’ai conquis dans la Morée, sous la con-
« dition qu’ils me resteront en sûreté, et que vous en serez le Bail....
« Messire Geoffroi, en homme plein de sagesse, continue le chroniqueur *,
« s’inclina respectueusement devant le Champenois, lui fit mille remeiv
« ciemens de l’honneur qu’il lui faisait, des éloges qu’il lui donnait,
« des dons précieux dont il le comblait, et accepta le Bâillât avec la sou-
« veraineté du pays, ainsi que le Champenois, l’en priait. ” On a vu dans
notre Introduction, comment messire Geoffroi s’arrangea plus tard pour
demeurer en possession définitive de ce qu’il semblait n’avoir accepté
provisoirement que par complaisance. La seigneurie d’Arcadia passa
dans la suite au sire Anceau de Toucy, maréchal de Romanie, l’un
des chevaliers français qui s’était signalé dans la guerre; elle appartint
plus tard à messire Vilain d’Aunoy, dont le chroniqueur dit, que la
fille Agnès épousa messire Etienne Lenoir; il ne resta de celui-ci pour
héritier qu’un seul enfant, du nom d’Erard, qui prenait le titre de
seigneur d’Arcadia, « et de l’administration duquel se sont bien trouvés
* les orphelins. Grâce à lui, les veuves ont amélioré leur situation, et
« les pauvres et indigens ont été arrachés à la misère; souvenez-vous
«. de lui dans vos oraisons, et priez Dieu pour lui, car c’était un bon
« prince.” H n’est plus question d’Arcadia après Erard, et Coronelli
n’en dit pas un mot. On a vu comment Ibrahim avait traité de nos
jours cette malheureuse ville.
Après avoir bien examiné le château, nous descendîmes à la base du
contrefort qu’il domine, afin d’y rechercher les restes des anciens temps,
que le sous-préfet nous assurait y exister. En sortant de la ville par
le chemin qui conduit à la plaine, on trouve d’abord un assez grand
nombre de tombeaux turcs, qui forment une sorte de nécropole autour
d’une mosquée abattue; ils avaient été ouverts et renversés. Des jardins,
dont beaucoup étaient enclos de haies, succédaient aux ruines
de la cité des morts; entre ces plantations nous trouvâmes effectivement
des traces d’antiquité grecque qui mériteraient qu’on les étudiât.
Des fouilles, si nous eussions eu le temps d’en commander, nous y
». Page 137.