Styli (les Colonnes), nous descendîmes d’abord vers l’Est au milieu des
arbustes, et trouvâmes couché par terre un grand tronçon de colonne,
peu avant .de traverser le ravin dont nous avions vu les jolies cascades
plus bas en venant du fond de la Néda. Comme on nous assura, mal à
propos, que les chemins étaient impraticables pour les mules, nous partîmes
à la légère, laissant nos gens et nos bagages au camp de Pavlitza;
étant remonté bientôt et parvenu sur un col étendu en plateau, on distingue
à gauche le village de Graditza, ou sont vingt-cinq familles. Après
avoir coupé un chemin, qu’on nous dit être celui d’Andritzenâ, nous
découvrîmes, au milieu des champs et au ras de terre, les bases d’une
construction antique assez importante; notre guide assura qu’il y avait
eu là un grand réservoir d’eau, et Gell, qui, en allant directement de
Graditza à Bassæ, n’a pu voir cet endroit, le mentionne cependant comme
ayant des bains. Cette opinion vient de ce qu’on y rencontre çà et là
de grandes dalles creusées en gouttières, comme j’en ai vu effectivement
depuis en Argolide à Epidaure; mais je ne reconnus pas dans tous les
environs le moindre suintement d’eau, qu’on eût pu recueillir pour
alimenter un tel établissement. Les sources, qu’on serait parvenu à y
emprisonner, se seraient-elles échappées pour aller se faire jour ailleurs ?
L’antiquité parle d’eaux thermales au confluent du Limax : n’est-ce point
ici quelles auraient existé et disparu? Quoi qu’il en soit, c’est de ce point
que le Gotylus commençait à se montrer dans son austère majesté : il
était comme un long contrefort, séparé de nous par le torrent dont le confluent
existe un peu au-dessus du pont de la Néda; et qui, comme la
montagne, suit à peu près la direction du Nord au Sud. Nous y descendions
par des pentes douces, autrefois passablement cultivées, et en nous
dirigeant sur Boika ou Kato-Tragodi; afin d’arriver à ce village, il
nous fallut traverser deux faibles ravins, dont le second, qui, dit-on,
demeure à sec pendant l’été, roulait alors des eaux abondantes et pures,
au-dessus desquelles nous passâmes sur les racines vigoureusement
entrelacées de deux énormes Platanes qui formaient comme un pont de
treillis. L’immense tronc du plus gros des vieux arbres était entièrement
creux, encore que ses vastes branches fussent parfaitement saines et parées
d’un épais feuillage du plus beau vert. « Yous n’y entreriez pas impuné-
« ment, si vous étiez tout seul,” dit alors André à ceux de nous qui s’y
étaient introduits, en leur rappelant que c’était l’arbre qu’il nous avait
signalé dans son histoire des Anaraïdes, comme étant l’asyle de l’une
des plus amoureuses de toutes les sorcières aquatiques (p. 206):
Kato-Tragodi se composait de six maisons, en ruine ainsi que son
église. Une aire ronde, vaste et bien entretenue dominait le hameau; de
ce p,oint la vue s’étendait sur les flancs sauvages du Cofylus et sur les
cimes boisées oii fut Ira de l’autre côté de la Néda, laquelle s’est creusée
entre les monts un étroit passage où l’on peut entendre mugir ses ondes
bleues à de très-grandes profondeurs. Des jardins étaient comme suspendus
en terrasses au faîte de l’escarpement occidental de la rivière qu’il
nous restait à traverser pour monter à Bassæ, en passant par Apano-Tra-
godi1; c’est ce torrent que je crois être le véritable Limàx, encore qu’il
ne baigne point Phigalie, mais tout près duquel cependant il se précipite
dans la Néda. On sait, pour peu qu’on soit versé dans la mythologie,
que ce fut là que se purifia la déesse Rhée quand elle eut enfanté
Jupiter3. Nous traversâmes ce Limax sur un pont en pierre d’une seule
arche, et qui doit exister depuis les temps les plus reculés ; à son extrémité,
contre des rochers humides et sous la protection de Platanes, touffus,
est une chapelle près de laquelle bouillonne une jolie fontaine; Il y eut
de tout temps, on n’en saurait douter, quelque hiéron à cette place:
le site a quelque chose de trop religieux au passage d’une rivière sacrée,
pour que les Nymphes, qui assistèrent l’épouse de Saturne, n’y. aient
point été adorées; cependant aucun auteur n’en dit mot. Il y a dans les
fondemens de la modeste et pittoresque église de trop grosses pierres,
pour que la taille en doive être attribuée à des ouvriers du moyen
âge, ou des temps modernes. D’ici, la route affreuse s’élève de ressauts
en ressauts vers l’autre moitié du village sur l’aire duquel nous; nous
sommes arrêtés tout à l’heure, et dont la totalité se composait autrefois
de deux cents habitans environ; ce qui en restait, accourut pour nous
voir passer. Au sortir d’Apano-Tragodi, on prend la direction du nord-
est afin de gravir diagonalement la montagne, où sont épars des blocs
i . Écrit Dragogi dans la feuille 3 de la grande carte, pl. III de notre première série.
a. Pausanias, //¿.VIII, cap. 4i* Y 33