« bien le choix que votre Gouvernement a fait de M. le Maréchal Mai-
« son pour chasser Ibrahim d’ici; et de son chargé d’affaires, avec lequel
« mes relations sont si douces; tandis que celles que j’ai avec ce Dawkin,
« me sont insupportables. Tous savez bien qui, lorsque son Excellence,
« qui voit de haut et juge d’un regard la fin des choses, voulait de suite
« marcher sur l’Attique et nous rendre Athènes de prime-abord, en y
« aj outant Négrepont ; vous savez bien, dis-j e, qui empêcha l’exécution de
tc ce grand dessein, dont la conception seule décèle dans le Maréchal un
« digne élève de la grande école. Je sais hien que de prétendus philhel-
« lènes, qui sont venus ici travailler pour eux et qui m’appellent Russe,
« parce que je ne veux pas accepter leur joug, disent que c’est moi ; mais
« son Excellence sait bien à quoi s’en tenir. Dès qüe le royaume de
« Grèce s’étendra en dehors de l’isthme de Corinthe, que l’Attique, la
« Béotie, la Phocide et l’Euhée y seront jointes, il ne sera plus possible
« de la traiter comme Prode, Sphactérie, ou Sapience (voyez p. 81 et
« suiv.), c’est-à-dire d’en faire une ionienne; et voilà pourquoi cetinévi-
« table Dawkin a fait intervenir son gouvernement, qui n’a pas voulu
« que votre armée rattachât, dès le principe, la presqu’île au conti-
« nent par des arrachemens plus larges que ceux que présente l’espace
« contenu entre Léché et Kenkrès.... S’il ne m’arrive pas malheur,
« et si l’appui de la France ne m’est pas enlevé, j’espère prouver que
« je. ne suis pas Russe, mais que je suis.Grec Ah, si M. lè Maré-
* chai restait ici avec ses troupes seulement dix-huit mois encore, je
9 «n’aurais pas besoin d’employer les deux tiers de mon pauvre budj et
« à payer des soldats réguliers, dont tôt ou tard il sera connu que
« nous n’avons que faire, au moins tant que la paix extérieure ne
« sera pas troublée. Je ne serais pas réduit à gaspiller de l’argent pour
« acheter ces espèces de Condottioji qui s’appellent palikars, et certains
« chefs qui se trouveraient naturellement annulés par l’ordre qu’il me
« serait facile d’étahlir avant que je fusse réduit aux forces du pays; ordre
« que je me propose d’établir sur l’intérêt bien entendu des masses. Si
« l’on nous ôte M. le Maréchal, qui comprend si bien la Grèce, qui
« l’aime, qui en est aimé et respecté, et avec lequel je suis convenu
« qu’un budjet de trois millions par an (dont le pays me donnera tout à
« l’heure plus de moitié) me suffirait pour tout organiser avant dix ans
« révolus, qu?on me remplace, qu’on envoie en mon lieu un roi légitime
«: quelconque, je suis prêt à lui remettre un pouvoir que je crois impos-,
« sible de bien asseoir sans la coopération de la France*... Eh bien, mon
« cher M. de Bory, croyez-vous après tout cela que je sois Russe?”
Je remerciai M. le Président de la confiance qu’il voulait bien me
montrer; mais en même temps je lui fis observer que, si plusieurs des
choses qu’il m’avait fait l’honneur de me dire avaient été dites*à d’autres
qu’à moi, elles pouvaient bien courir le monde sans que je fusse indiscret.
«Ne craignez rien, répliqua-t-il, je vous répète que je répète tout
«-:: cela à qui veut l’entendre; et que c’-est parce qu’il connaît bien le fond
« de ma. pensée que ce Dawkin travaille si bien à tout perdre, sans
« avoir l’air d’y toucher. Mais je n’âi pas les poumons aussi forts que
« ceux qui crient incessamment le contraire. J’ai eu l’honneur de le dire
« à M. le Maréchal, à l’excellent général Trézel, à M. Férino, à votre
« ami Fabreguette1, à D.. .. ,. , dont je ne suis plus si content qu’au
« commencement, ainsi qu’à tous vos généraux5 qui me comprennent
« à merveille; je voudrais pouvoir le dire à vos Ministres, notamment
« à MM. de Martignac, Decaùx et Hyde de Neuville; je ne changerais
«pas un mot-à la conversation que nous avons ici.” En ce cas,
dis-je, M. le Président, vous ne trouveriez pas mauvais que j’en tinsse,
note, que je vous lusse ce que j’en aurais confié au papier, et que
je le fisse parvenir par voie sûre à ces messieurs, comme si vous ignoriez
cette communication. « Avec grand plaisir, répondit le comte; il
«' est bon que vous ne fassiez pas mention de mon consentemènt, pour
« qu’on n’aille pas dire que nous nous entendons pour tromper vos
« Ministres par des airs de bonne foi, et que mes ennemis ne rabâchent
« pas que je vous ai mis la tête sous l’aile, comme ils disent en termes
« de corps-de-garde que j’en ai agi avec son Excellence, et autres, que
« j’ai endormis, selon une autre de leurs expressions. ” Ce furent là les
i. M. Fabreguette était venu comme philhellène dans Ge pays quelque temps avant l’expédition
de Morée ; il .était alors attaché à M. le payeur général. M. le président avait eu occasion d’apprécier
son mérite. Fabreguette avait dans le commencement vu beaucoup le comte, Capo d’Istria,
qui se plaisait à sa conversation et qui lui témoignait une bienveillance particulière; il est aujourd’hui
consul, de France à la Ganée dans l’île de Candie.