« et que nous ayons besoin de pain et d’écoles d’enseignement mutuel,
I pour apprendre à nos enfans tant de choses que, tel que vous me voyez,
•” je suis honteux d’ignorer, et qu’un homme doit savoir pour ne pas
S demeurer une brute, comme est ce Pierre Mavromichalis, qui rêve
« toujours qu’il est bey, et comme j’avoue que je suis moi-même. Il nous
| faudrait aussi des médecins; car, malgré que les fièvres et la peste
« soient inconnues dans nos montagnes, on ne s’y casse pas moins les
membres à coups de fusil, sans que personne les sache raccommoder.
Moi, qui vous parle, j’ai encore trois balles dans le corps, que personne
” n’a su in’ôter, et la nature seule a fait la dépense de ma guérison toutes
' les fois que j’ai été blessé. ” . .
Ce respectable Mourdzinos, type du Spartiate actuel, nomme député
'à l’assemblée nationale, partit quelques jours après pour Argos, ou je
l’ai revu avec son beau-frère Atanasouli, lequel, s’étant en quelque sorte
’échappé deson château pendant la nuit, l’était venu joindre. Le Président
s’attacha l’un et l’autre par beaucoup d’égards; tandis qu’il n’a jamais
pu venir à bout d’apprivoiser les Mavromichalis, qui l’ont tué. Cependant
le seigneur d’Androuvista n’était point destiné k voir réaliser pour
son fils les projets d’établissement dont il nous avait entretenu; il est
mort, ainsi qu’Atanasouli, des fièvres que Leme envoie toujours, comme
an temps de l’Hydre, dans les plaines où se tenait le panhellemum, et
ce fils, objet de si douces espérances, ne lui ayant guère survécu, les
maisons de Troupianos et de Komodoraki doivent être éteintes.
C’est le 28 Mai, qu’accompagné de MM. Brullé, Yirlet et Baccuet,
je laissai nos bagages au bord de la mer pour gravir k plus de 2400
mètres de hauteur au-dessus de son niveau ; il n’y avait pas trois lieues
à vol d’oiseau de notre camp au sommet qu’il était question d’atteindre
et pourtant il ne faut pas moins de six à sept heures de marche
soutenue pour s’y rendre par des pas difficiles, et même souvent pènl-
leux. La route passe d’abord au pied de l’escarpement de Scardamula,
dans lequel sont des grottes fréquentées par les troupeaux : cet endroit est,
du consentement de tous les géographes, l ’antique Cardamyle; mais il
paraît que la ville de ce nom, citée dans Homère, n’était précisément
point située où demeurent, autour du château de Mourdzinos, une soixantaine
d’habitans, également retranchés dans des maisons fortes oh chacun
est à l’abri de toute surprise. Le Cardamyle, dont parle aussi Pausa-
nias *, devait être sur le sommet tronqué d’une montagne un peu plus
éloignée du rivage, coupée à pic dans son pourtour, qui présente d’épaisses
assises dérochés calcaires, et qu’on reconnaît au milieu de notre pl. XXII,
ainsi que dans une autre vue des mêmes lieux qu a donnée M. de Stackel-
berg. Il y avait dans cette Cardamyle un temple de Minerve et une statue
d’Apollon Carnésius. On rapporte que Pyrrhus, fils d’Achille, venant
à Sparte pour épouser Hermione, et passant par ici, les Nymphes, filles
de Nérée, voulant contempler ce beau prince, sortirent de leurs humides
retraites, et s’avancèrent hors de la mer jusqües en un lieu ou, pour
éterniser le souvenir d’un tel événement, on bâtit une enceinte sacree,
qui pourrait bien répondre a celle du chateau ou nous avons ete si bien
reçus: quoi qu’il en soit, et sans chercher à recueillir des preuves de ce
fait, nous montâmes par un chemin moins mauvais que ceux auxquels
nous commencions à nous faire, sur le flanc d’un rempart calcaire, dans
lequel étaient creusés d’anciens sépulcres. On nous en fit remarquer un qui
consistait en une chambre carrée un peu plus grande que les autres, avec
une tombe taillée dans la pierre, sur chacun des côtés : « là furent ense-
« velis, nous dit-on, deux princes des temps anciens, qui étaient jumeaux
« et qui sont montés au ciel en chair et en os, pour y habiter deux des
« plus brillantes étoiles. | Cette tradition n’indiquerait-elle pas qu’il faut
chercher aux environs ces petites statues des Dioscures, qu’on dit avoir
été à Pephnus, port que pourrait bien représenter celui où sè voit la maison
de douane peu éloignée de Scardamula, et devant lequel est un îlot
ou plutôt un grand rocher, semblable à celui où l’on rapporte qu’étaient
nés Castor et Pollux9. Nous n’avons pas vérifié si « les fourmis y paraissent
« plus blanches que ne le sont ordinairement les insectes de cette espèce.3
Plus haut était une abondante fontaine, avec trois arcades, récemment
taillées dans la roche par ordre de Mourdzinos, qui lui a donné le nom
de S. Denis, son patron : un joli monastère s’élevait sur la droite et dépendait
du village de Gornitza, que nous laissâmes sur la gauche. Comme
au sortir de Gargaliano, des pieds de mulets s’étaient si profondément
i . Lib. H!, cap. 28. — 2. Pausanias, ïib. III, cap. 26. — 3. Ibid.