Turkophage, on ne sait trop pourquoi; car il n’a certainement jamais
mangé lin seul des Turcs qu’il tua dans cent combats, où sa valeur
était incomparable, ainsi que sa magnanimité. J’avais eu occasion
devoir ce brave dans la suite de M. Capo d’Istria, qui lui montrait
beaucoup de déférence et qui croyait, à ce qu’il me parut, en avoir
fait un éloge suffisant en me disant : «Celui-là n’est pas un brigand.”
M. le Maréchal et le général Schneider l’avaient aussi accueilli avec
distinction. Il était l’un des guerriers les plus renommés que possédât la
Grèce : de moeurs rigides, mais douces, simple, désintéressé et d’une
intrépidité sans pareille, il est Arcadien de naissance, et fils d’une soeur
de Colokotroni; mais non de cette famille des Nikitas de Londari, qui
passe pour une des plus riches de la province. H fit ses premières armes
dans la troupe de klephtes qui, sous le commandement de son oncle,
était la terreur des Turcs long-temps avant la dernière guerre : son
humanité et sa valeur le rendirent bientôt célèbre et cher aux pauvres
Moréotes; il courait sus aux Musulmans, non dans un esprit de rapine,
mais parce qu’il voyait en eux les oppresseurs de la patrie. Les malheureux
paysans qui craignaient les autres bandes, parce qu’elles les
rançonnaient souvent, ne redoutèrent jamais l’approche de celles dont
la direction lui était confiée : «Celui-là ne vexa jamais un Grec, il leur
« fut toujours aussi accessible qu’il était terrible aux Turcs,” nous disaient,
en parlant de lui, des pâtres du Diaforti et des habitans de
Dimitzana, qué nous rencontrâmes à Gortys. Aussi Nikitas, qui était
chargé de gloire et de bénédictions, ne l’était point de richesses : son
costume n’avait rien de brillant, il ne portait pas comme les Yazo,
les Grivas et autres vrais bandits de renom, des armes resplendissantes
d’or et d’argent; mais il maniait avec autant d’adresse que de force le
sabre sans ornemens, avec lequel on prétend qu’il a tué de sa main plus de
mille ennemis dans les différentes batailles, où il combattit toujours corps
à corps. Quand il avait de l’argent, il le distribuait aux malheureux,
réparant ainsi, autant qu’il lui était possible, les pertes causées à ses
compatriotes par la guerre; il empruntait souvent pour donner, notamment
à son oncle Colokotroni , qui lui en faisait reproche et ne lui prêtait
pas toujours. Nikitas ne possède, nous a-t-on assuré, qu’une maison à
Napoli de Romanie, où M. de Yaudrimey fit le portrait fort ressemblant
qui se voit dans la première série de notre atlas.
La route de Coron à Pétalidi suit à peu près le bord de la mer; le
ruisseau de Lahanou ou Lekanou, qu’on traverse à une lieue, passe
pour être le séjour de quelques diables, dont on assure avoir souvent
entendu les soupirs ou les hurlemens; nous n’avons pu découvrir la
cause de cette tradition. Plus loin est le village de Kastélia, qui conserve
encore quelques vestiges de fortifications vénitiennes, et où nous
cherchâmes d’abord les ruines du temple d’Apollon Corynthus1 : elles
n’existent point sur une montagne, comme on l’a imaginé dernièrement,
mais sur une simple butte appelée, malgré son humilité, Agios-
hélias; elles consistent en un massif en forme de parallélogramme, avec
une citerne voisine, ainsi qu’en fragmens de Marbres de grande dimension
dispersés à l’entour. Un quart d’heure après Kastélia on arrive au
Kakorevma, dont les eaux étaient alors rapides et atteignaient dans le
gué au-dessus du genou. Peu après il faut passer encore un torrent,
venant d’une gorge où se massaient élégamment des Cyprès et des Gaî-
niers, dont les jeunes feuilles, du vert le plus suave, succédaient aux
fleurs pourprées ; le beau Pyrgo de Longa dominait ensuite sur la gauche
les plus ravissans coteaux qu’il soit possible d’imaginer. Ce lieu, déjà
mentionné dans les cartes grossières du commencement du siècle dernier,
sous le nom de Longo, pourrait passer pour un magnifique château
en tous pays; il avait appartenu à un seigneur turc puissant et fort
détesté. On m’a assuré que le président Capo d’Istria avait l’intention de
provoquer un décret de l’assemblée législative, dont on préparait la
convocation, en vertu duquel la nation en offrirait la propriété, avec
toutes ses dépendances, à M. le maréchal Maison : cette idée portait un
caractère de grandeur et de générosité qui fait honneur à quiconque la
conçut; sa réalisation eût certainement illustré la Grèce, dont un des
anciens lieutenans du grand Napoléon avait étanché le sang. L’ordre
de choses qui a succédé à celui qu’avait établi M. Capo d’Istria, ayant
i. « A 8o stades environ, en partant de Coroné, on trouve sur le bord de la mer un temple
« assez célèbre. Les Messéniens disent qu’il est très-ancien; les malades y vont chercher la guérison.
« Le dieu se nomme Apollon Coiynthus; sa statue est en bois.» Pausanias, lib. IV, cap. 34.