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est évidemment élevée, si l’on en juge par les constructions qu’on voit au
loin sous la mer, devant les bains antiques près desquels nous avions
assis notre camp; on y compte plus de 700 habitans. L’église, oîil’on a
transporté plusieurs fragmens antiques, entre autres un beau chapiteau
corinthien et de gros blocs de Marbre qui servent de soubassemens,
occupe sans doute la place du temple élevé par le ravisseur de l’épouse
de Ménélas; quant à l’île où l’Amour soumit la soeur desTyndarides au
fils de Priam, très-rapprocliée du rivage, rase comme une table oblongue,
et grande, tout au plus, comme l’esplanade du Champ de Mars: elle se
compose de blocs de roches diverses, désunis, roulés en forme de galets
plus ou moins gros, et dont les interstices produisent quelques Millepertuis,
des Câpriers et surtout le Fenouil, auquel l’île doit son nom actuel1;
cinq ou six misérables Oliviers sont les seuls arbres qui semblent croître
à regret autour d’une petite chapelle située à la pointe de l’Ouest.
Dzanétaki, dont Mavrico-Poulo nous avait tant parlé (pages 358 à
360), fils de bey, et dont la maison comptait encore d’autres princes,
habitait, depuis la guerre de l’indépendance, un château qu’il s’était
construit sur l’île même, et dans lequel nous fûmes reçus au bruit
du canon : voulant que j’y demeurasse avec lui, il my présenta sa
famille et me traita à l’européenne, c’est-à-dire en m’y donnant à
dîner sur une table supportée par des pieds, autour de laquelle on
s’assit sur des chaises, ou chacun eut sa serviette sans broderies, son
verre et son couvert. Dzanétaki passe pour le plus riche des seigneurs
de Sparte; il est aussi celui dont les manières sont le plus en rapport
avec notre civilisation. Sa puissance, fondée sur une bonne réputation
militaire, et sur la haute opinion qu’on a de son grand sens et de sa
probité, s’étend sur le Magne oriental et jusque sur le canton des
Rakovouniotes, autrefois soumis exclusivement aux Mavromichalis,
qui, dans ces derniers temps, ont perdu beaucoup de leur influence
vers cette sauvage extrémité de la Grèce : c’est aux habitans de ce canton,
qu’il faut se garder de confondre avec le reste des Maniotes, que
Sparte d’aujourd’hui doit sa mauvaise réputation; et, il faut l’avouer,
i . Le Fenouil se nomme en grec /jtapaBu, d’où Marathou-Nisi, île du fenouil , qui est appelée
Fenoche dans la carte de Lapie. . ^
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ces mauvais montagnards (telle est la traduction de leur nom grec), à
partir de la baie de Kolokyntha, au sud du cap Stavri, jusqu’au cap
Matapan, vivent dans une déplorable indépendance, dont il sera longtemps
difficile de leur faire comprendre les immenses inconvéniens.
On a peine à concevoir, lorsqu’on les a connus dans leur repaire,
qu’ils se puissent perpétuer sur ces rochers désolés où ne croît plus un
brin d’herbe; où les arbres sont arrachés, et les moindres jardins ont
depuis long-temps disparu; où ne coule plus un ruisseau; où les fontaines
tarissent peu à peu, faute d’ombrages protecteurs; où l’eau des
citernes est la seule que l’ardeur du soleil ne vaporise point; où chaque
maison, sans porte hospitalière au niveau du sol, et dans laquelle on
gravit par une échelle, est devenue une forteresse; enfin, où la population
de chaque village sè compte par fusils, c’est-à-dire par brigands , qui
possèdent une arme à feu pour s’entre-tuer. Les pitres eux-mêmes, qui
sont, dans ce misérable canton, plus misérables encore que dans le reste
des plus pauvres parties de la Morée, n’ont aucune influence sur leurs
indisciplinables paroissiens; à peine parviennent-ils à obtenir qu’ils observent
tant bien que mal une trêve de Dieu qui, semblable en tout à ces
suspensions d’hostilités où l’Église intervenait dans nos temps barbares,
ne permet à qui que ce soit de sortir en armes du samedi soir, à partir
de l’heure qui répond à l’Angelus, jusqu’au lundi matin après la messe.
Pour nous rendre dans ce canton, où nul chemin n’est plus tracé, et
dans lequel les habitans de Marathonisi eux-mêmes nous assuraient qu’il
n’y avait sûreté pour personne, Dzanétaki mit à ma disposition le Marco-
Botzaris, brick de guerre de douze canons, qu’il s’était fait construire
à Ipsara, qjour réprimer les pirates dans le golfe de Laconie: ce joli
navire passait pour l’un des plus fins voiliers du Levant; un équipage
d’élite le montait, Dimitri Meisseiani, l’un des plus braves marins de la
Grèce, en était le capitaine- Ce fut ce même brick que M. le Président
me donna plus tard pour mon voyage de l’Archipel, où le même capitaine
demeura sous mes ordres. Nous levâmes donc l’ancre dans la nuit
du 25 au 26 Juin, par une bonne brise du Nord-Est, et voguâmes
vers le Ténare, où nous accompagna Kalkandy, parent de l’éparque,
pour nous faire, si besoin en était, respecter en son nom, Dzanétaki étant
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