« par dix-sept généraux, couvrait Navarin du côté opposé a Modon.
« Il réclamait sa solde; Mavrocordato, qui se rendit au camp, les paya
réponses évasives Ibrahim profita des discussions qui s’en-
« suivirent, dressa ses batteries contre Navarin, et prépara une expé-
« 'dition pour Sphactérie. Le 26 Avril, ce Pacha envoya une trentaine
« de transports chargés de troupes, et le débarquement fut*opéré dans
« les premiers jours de Mai. Les Grecs firent des prodiges de valeur
« pour s’y opposer; une bataille des plus meurtrières s’engagea le 9.
„ Les Hellènes, pressés de toutes parts, et forcés de céder au nombre,
« voulurent gagner leur flotte, mais il était trop tard. . . . . Mavro-
cordato, sans attendre le résultat de la bataille, s’était rendu en toute
« hâte au rivage, y avait pris l’embarcation de Tsamados, et avait
« ordonné qu’on appareillât, en disant que tout était perdu, et que
« l’île était tombée au pouvoir des Turcs : on ne saurait peindre le
« désespoir qui s’empara des Grecs lorsqu’ils se virent si lâchement aban-
« donnés. Quelle place l’histoire réservera-t-elle à celui qui fut la cause
« de la fuite précipitée des bâtimens? Tsamados cependant encouragea
« ses compatriotes à vendre chèrement leur vie; et à l’exemple de ce
« brave capitaine, qui tomba criblé de blessures, ils se firent tuer
« jusqu’au dernier. — Stavro-Sahini, à la tête de ses Hydriotes, prit
« l'étendard de la croix, chargea l’ennemi, et le repoussa deux fois.
« 11 fut à la fin obligé de se réfugier dans une petite chapelle (celle
« dont nous venons de trouver les ruines) ou étaient les munitions
« de guerre, et s’y étant défendu jusqu’à ce qu’il ne restât plus que
« six hommes avec lui, il mit le feu aux poudres et périt avec ses
« compagnons. La prise de Sphactérie coûta cher à l’ennemi, auquel
« il n’eût pas fallu beaucoup de semblables victoires pouf qulbra-
« him se trouvât seul en Morée. Les bâtimens grecs qui emportèrent
« Mavrocordato, arrivèrent fort maltraités à Hydra; le ministre de la
« guerre, qui pendant le combat s’était caché dans une grotte, y fut
« trouvé, et massacré par les Arabes après la conquête de Sphactérie. *
Nous reviendrons sur la conquête de Navarin par Ibrahim dans le
chapitre suivant, en faisant l’histoire de cette ville, qui se lie étroitement
à celle de l’île oh nous venons de no'us arrêter. On a dit quelque
part1 que ce fut encore sur Sphactérie que les Turcs faits prisonniers
de guerre à Navarin lors des premiers temps dè l’insurrection grecque,
furent jetés par les vainqueurs, qui les condamnaient ainsi à mourir de
faim : c’est une erreur, comme on le verra tout à l’h’eure*(p. 431).
Rulhière®, «Bu sujet des intrigues russes de 4 770, raconte de la Sorte
un autre événement tragique arrivé à Sphactérie : « Orloff, qui occupait
« Navarin, oh s’étaient réfugiés ses soldats battus à Coron et sous Modon,
« en fit fermer impitoyablement les portes à la multitude de-malheureux
« Grecs qui s’étaient rassemblés au pied des remparts. Yous noùs avez
« promis, criaient-ils aux Russes, de nous affranchir; nous ne vous
« demandons qu’un asyle. Cependant les Turcs approchaient, et quoi-
« qu’ils ne vissent point paraître leur flotte, enhardis par leurs succès,
« leur troupe victorieuse marchait précipitamment vers Navarin. La
« foule des fugitifs, ne se croyant plus en sûreté sous les remparts dont
« l’entrée leur avait été interdite, se jette, en poussant des cris lamen-
« tables, dans tous les bateaux qui sont au rivage. Au milieu de cette
« confusion, la mer engloutit une partie de ces infortuüiés; le reste par-
« vint sur cette île de Sphactérie, qui forme un des côtés du port. Quatre
« ou cinq mille Grecs réfugiés sur ce rocher, sans eau, sans abri, sans
« vivres, y périrent de soif et de faim, voyant flotter autour d’eux les
« cadavres de leurs enfans et, de leurs femmes; et les Russes, de dessus
« les remparts de Navarin, contemplaient ce spectacle avec des risées. ?
Le souvenir de telles horreurs et de l’odieuse conduite d’Alexis Orloff,
qui, s’embarquant bientôt avec tout ce qui lui appartenait, échappa
aux Musulmans, s’est perpétué dans le pays; il y motive la juste antipathie
qu’y inspire tout gouvernement évidemment soumis à l’influence
des successeurs de cette czarine qui, par de trompeuses promesses, causa
des maux infinis à la Morée vers la fin du siècle dernier.
Ce fut le 31 Mars, dans la matinée, qu’ayant fait tous nos préparatifs
de départ, la section de la Commission scientifique dont j’avais la
direction s’éloigna du théâtre de tant de désastres. Nous quittâmes
1. Mémoires sur la Grèce, par M. Reybaud, 1. 1, chap. Yffl, p. 427.
2. Histoire de l’anarchie de Pologri®, 1 .111, p; 4*3.