Grecs modernes, dont le caractère, les croyances, les usages, la manière
de vivre et de sentir, et jusques aux costumes, ont beaucoup moins
changé qu’on ne l’imagine; toutes ces choses conservent chez eux un
cachet hellénique que ni la métamorphose de religion, ni la perte de la
liberté, ni la dégradation de la nationalité n’ont suffi pour faire disparaître.
Le sol de l’aire devenu le salon de Mavromati, était humecté de
sueur, et les accès de gaîté d’autant plus vivement manifestés que, pour
la première fois de leur vie peut-être, les Messéniens figurans pouvaient
s’y livrer sans la moindre crainte. Au temps des Turcs, qui ne manquaient
jamais de leur jeter quelque pierre ou de les insulter en passant, ils étaient
sans cesse exposés à voir troubler des plaisirs auxquels aussi ne se
livraient-ils guère que clandestinement. En voyant quelques-uns de nous
se mêler à leurs jeux, leur joie redoubla, ce qu’ils témoignèrent en célébrant
dans leurs chants « cette France si généreuse, qui venait de rendre
« la sécurité aux débris d’une pauvre nation si long-temps opprimée. I
L’emplacement de Messène et les monts environnans étant très-riches
en productions naturelles, nous y demeurâmes une semaine entière,
pendant laquelle je fis le plan qu’on trouve dans la planche IY de
la première série de notre atlas. Le mont Yourcano, élevé de 802
mètres au-dessus du niveau de la mer, en est le point culminant et en
fut l’acropole; ce qui fait comparer Messène à Corinthe par Strabon.1
Ce nom de Yourcano, dont l’étymologie m’est inconnue, ne se trouve
sur aucune ancienne carte, on ne commence aie voir que dans les plus
modernes; il a remplacé, comme nous l’avons déjà dit, celui de l’une
des nourrices de Jupiter. L’Ithome se couronnait d’une ville bien avant
que Messène existât, et lors des premiers revers qu’éprouvèrent les habii
. «La ville de Messène ressemble à celle de Corinthe; l’une comme l’autre est dominée par
« une montagne haute et escarpée et qui lui sert de citadelle, chez les Messéniens sous le nom
« d’Ithome et chez les Corinthiens sous celui d’Acrocorinthe. Aussi Démétrius de Pharos avait
« raison de conseiller à Philippe, fils de Démétrius, de commencer par s’emparer de ces deux
« places s’il voulait conquérir le Pélopônnèse. Une fois saisi les deux cornes, lui disait-il, vous
« serez aisément' maître de la vache ; il entendait par cornes l’Ithome et l’Acrocorinthe. C’est à
« cause de cette importance qu’on s’est plus d’une fois disputé la possession de ces deux places.
« Les Romains détruisirent de. fond en comble Corinthe, puis ils la rétablirent; les Lacédémo-
« niens ruinèrent Messène, qui fut rétablie par les Thébains, ensuite par Philippe, fils d’Amyntas;
« mais les citadelles de ces deux villes sont restées désertes.* Lib. VIII, S. 8.
tans du pays dans leurs guerres avec les Lacédémoniens, « ils prirent
le parti, dit Pausanias1, d’abandonner toutes les villes du plat pays
« pour s’établir sur cette montagne, oit il y avait déjà une cité qui est,
« à ce qu’ils prétendent, celle qu’Homère cite lorsqu’il dit, dans le dénom-
« brement de la flotte grecque, Y escarpée Ithome *, ils en agrandirent
« l’enceinte, afin qu’elle pût servir d’asyle à la quantité de nouveaux
« habitans qu’elle devait contenir; c’était une place très-forte d’assiette,
« étant située sur une montagne aussi haute qu’il y en eût dans l’isthme
<< du Péloponnèse, et les approches en étaient fort difficiles.”
Aristodème gouvernait alors les Messéniens ; en la cinquième année
de son règne, jugeant que la prolongation indéfinie des hostilités nuisait
également aux deux partis, on résolut de côté et d’autre d’en venir aux
mains. Il est difficile, d’après ce qu’on rapporte des dispositions prises
par les combattans, de reconnaître le terrain oii la bataille qui porte
le nom d’Ithome, et dont on n’a pas laissé que de faire graver une vue3
pût être donnée; on sait seulement « qu’Aristodème y sut si bien ajuster
« son armée au terrain, qu’elle eut toujours la montagne derrière elle;i
mais comme il y est question d’une embuscade de cavalerie légère qui
détermina le succès, en chargeant à l’improviste et par derrière la droite
des Lacédémoniens et de leurs alliés, nous avons inutilement cherché
dans l’étendue qu’a plus tard occupée Messène, une place propre à des
manoeuvres de troupes à cheval. La bataille d’Ithome n’a donc point
eu lieu de ce côté, il faudrait peut-être letudier à l’entrée du vallon de
Belsi: quoi qu’il en soit, malgré la victoire qui dans cette occasion se
montra favorable aux Messéniens, les affaires de ceux-ci tombèrent dans
un état déplorable, et après un long siège, qui ne finit qu’au commencement
de la XIV.e Olympiade, et qui dura vingt-deux ans, ils furent
obligés d’abandonner leur citadelle, que les Lacédémoniens détruisirent
de fond en comble. Nous ajouterons, pour compléter l’histoire de ce
lieu, que plus tard4 des Ilotes révoltés vinrent se fortifier sur les ruines
- x. Lib. IV, cap. g.
2. « Ceux qui habitent Tricca et l’escàrpée Ithome et la riche OEchalie, qui était sous la domi-
« nation d’Euiytus, suivaient, sur trente vaisseaux, Podalyreet Machaon, fils d’Esculape et tous
« deux excellens médecins,* Iliade, 1. II. Trad. de Dacier, 1 .1, p. io 3.
3. Tome I, p. 546 de la traduction de Gédoin. — 4° Vers la LXXIX.® Olympiade.