flottante, qui étaient d’un bleu admirable, pareil à celui de la mer
quand elle est calme; mi grand voile d’un bleu plus pâle leur servait
de vêtement, et sa transparence était telle que pas un des détails de
leur corps gracieux ne lui avait échappé. «Je ne sais ce qui en serait
« advenu, continua le narrateur, mais quatre Turcs arrivant sur mes
« traces, les Anaraïdes disparurent, et je retrouvai mes jambes pour
« gagner mon logis.” «Mais comment, maître André, lui dit-on alors,
« avez-vous pu, puisqu’il était minuit, distinguer ce qui vous fait si fort
« briller les yeux quand vous en parlez? ” «Oh! répliqua sans hésiter
« le poltron lascif, il faisait clair de lune. ”
On m’a fait plus tard remarquer près Tragodi, en allant à Bassæ,
un magnifique Platane ombrageant un torrent rapide, dont l’eau tourbillonnait
entre les puissantes racines et sous le feuillage duquel on ne
se fût point reposé impunément si l’on eût été seul, son vieux tronc
creux étant la demeure d’une Anaraïde des plus amoureuses. Au-dessus
de ce lieu, sur le Cofylus même, nous trouverons dans la suite, avant
d’arriver au temple, une fontaine que des êtres surnaturels du même
genre fréquentent dans la belle saison. Le témoignage unanime des habitans
du canton confirme ce que disent des Néréides. Théocrite et Yir-
gile, lesquels les donnent également pour être aussi perfides que séduisantes.
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Lès cavernes sont également les demeures d’une autre sorte d’esprits,
qu’on y a entendus parfois hurler comme des Loups, ou glapir comme des
Chacals. Ceux-ci sont tellement redoutés qu’on n’ose seulement pas prononcer
leur nom, ce qui fait que, n’étant point parvenu à l’apprendre,
nous ne le pouvons dire au lecteur; ce sont peut-être les mêmes que les
Mires, auxquelles les jeunes Grecques vont offrir des gâteaux où entre
du miel, pour qu’elles ne les empêchent pas de trouver des époux. On les
invite à la naissance des enfans, dans l’espoir de désarmer leur haine,
ainsi que, dans les vieux fabliaux, on conviait les fées malfaisantes
avec les bonnes pour obtenir qu’elles ne jetassent pas de mauvais
sorts; on les qualifie alors de bonnes demoiselles; mais malgré les politesses
qu’on leur fait, on ne parvient pas toujours à les apaiser, et pour
i . Idylle Xm et éclogue VI.
qu’elles ne tordent point le cou aux nouveau nés, on n’abandonnerait le
berceau de ceux-ci sous aucun prétexte pendant leurs visites , qui ont lieu
durant la fièvre de lait de la mère. Ces êtres invisibles ont le pouvoir
de métamorphoser en bêtes les Hommes que leur mauvaise destinée
conduit dans leur repaire, pour y chercher la fraîcheur et goûter des
douceurs du sommeil; aussi nous recommaridait-on de ne jamais entrer
dans les grottes , sans nous être informés auparavant dans le pays s’il y
avait sûreté.
Les Broucolacas sont encore des êtres malfaisans qui, à l’instar des
Gnomes, demeurent sous terre et fréquentent les tombeaux. Hs sucent
les cadavres, et lorsque cette horrible nourriture leur manque, on assure
qu’ils mangent les racines bulbeuses de l’Asphodèle; idée bizarre, qui
vient peut-être de ce que chez les' anciens cette plante était consacrée
aux morts. Les Broucolacas peuvent aussi revêtir nos formes et vivre
dans les cités, sans y être reconnus pour ce qu’ils sont réellement; on
en mentionne qui ont demeuré successivement dans plusieurs villes , ou
pendant les heures du sommeil ils épouvantaient de leurs cris affreux les
habitans, qui n’osaient plus se livrer au sommeil : ils y dévastaient les
cimetières. De tels monstres n’ont été reconnus que dans le cercueil,
après avoir été enterrés à leur tour; car, en se faisant nos semblables,
ils étaient devenus sujets au trépas. C’étaient alors de véritables vampires,
et pour donner une idée plus complète de leur histoire, >nous renverrons
le lecteur à ce qu’en dit Tçurnefort1, qui fut témoin à Mycone
de l’exhumation d’un mort de ce genre, lequel, depuis qu’il était enterré,
était devenu l’effroi du pays par ses excursions nocturnes; il fallut lui
arracher le coeur et brûler son corps pour le forcer à se tenir tranquille.
Peu avant notre arrivée dans la même Gyclade, un autre Broucolâca
y avait fait beaucoup de bruit et l’on s’en entretenait encore. On en a
vü à Tine, ainsi qu’à Santorin; mais ces cas sont, dit-on, plus rares
encore que les mauvaises rencontres qu’on est exposé à faire près des
fontaines et des eaux profondes.
De la prise d’eau, où nous avions fait halte, il reste une lieue de chemin
à parcourir pour atteindre la forêt de Koubeh; le vaste plateau de
i . Voyage dans le Levant, t. Ler, lettre.m, p. »58.