Panagie ou mère de Dieu; de petits garçons et des hommes qui n’étaient
pas de leur compagnie les suivaient avec quelques marques de déférence;
c’étaient de ces tragodes de profession qui vivent d’aumônes en
célébrant les louanges de qui leur donne quelques paras, et qui mendient
en chantant des complaintes sur les saints que reconnaît le schisme
oriental. On ne saurait imaginer une chose plus hizarre que l’espèce de
psalmodie aigre, monotone et nasillarde de ces tragodes; d’après ceux
que j’ai souvent entendus depuis, et les cérémonies d'églises où, le
service divin se célébrant avec le plus d’éclat, on paie des chantres
réputés excellens, je serais tenté de croire que les Grecs ne sont point
organisés pour la musique, dont ils paraissent avoir les notions les plus
baraques. Je n’ai jamais pu comprendre ni retenir un de leurs airs,
malgré la facilité avec laquelle le chant se grave dans ma mémoire,
quand il est bon; que de fausses idées on s’est faites à ce, sujet, ainsi
que sur le point de perfection où durent être portés chez eux, au temps
même le plus glorieux de leur histoire, tous les beaux-arts, si ce n’est
ceux qui ont le dessin pour principe ! II suffit de voir la forme des ins-
trumens que les meilleurs sculpteurs de l’antiquité donnent aux choeurs
de musique, représentés dans ceux de leurs bas-reliefs qui se sont conservés
jusqu’à nous, pour sentir quels sons bizarres et quel désaccord
probable devaient résulter d’un orchestre ainsi composé. Je sais bien
que de vieux auteurs ont raconté des choses merveilleuses des joueurs
de flûte; qui savaient, par des modulations diverses, enflammer ou
calmer la colère, et que certains admirateurs de l’antiquité croient
fermement à ces contes; mais la véritable, la bonne musique est une
invention toute moderne; le tétracorde d’Orphée, qui charmait les tigres,
la lyre d’Amphyon, qui faisait accourir les pierres, ne sont tolérables
que dans les Métamorphoses d’Ovide; et tous ces instrumens, touchés
par Apollon lui-même, n’ont jamais dù égaler nos plus pauvres guitares,
encore moins nos harpes à tant d’octaves, qui pourtant n’apprivoisent
pas les bêtes et ne bâtissent plus de villes. Orphée et Amphyon pourraient
bien s’exposer au sort de MarSyâs, s’ils osaient lutter avec nos
virtuoses italiens ou jouter avec notre première flûte de l’Opéra; quoi
qu’il en puisse être, la bande des tragodes, nous apercevant, vint à
nous sans montrer la moindre crainte, et comme si elle conservait la
tradition que la musique est douée du pouvoir de tout dompter. Connaissant
de suite que nous étions Français et philhellènes, elle entonna
en parties mal d’accord le chant national de Marco Botzaris, à travers
la singularité duquel brillaient de beaux vers, qui me furent traduits
un à un. .1 y remarquai ceux-ci : « Le sang du vrai palitar féconde la
« terre; que le nôtre coule donc dans les combats sur cette terre où
« nous sommes nés, et qu’il s’y marie avec elle pour en faire naître des
« vengeurs. ” Au pays où Cadmus, pour faire sortir des guerriers d’un
sillon, y semait les dents du monstrueux serpent qu’il avait vaincu,
cette pensée nous reportait naturellement aux temps héroïques.
Après la complainte du capitaine de qui la renommée était alors en
Grèce la plus populaire, vint celle de la bataille de Navarin, où nos
compatriotes, salués du titre de libérateurs et comblés de louanges,
étaient cités seuls, comme si les Anglais et les Russes n’y avaient pas eu
leur part de gloire. Au. moment où nous allions nous séparer de la
troupe chantante, et quand nous achevions de lui prouver par notre
libéralité combien nous étions charnïéàMe la voir se montrer si reconnaissante
envers notre patrie, les jeunes filles nous firent signe de les
écouter encore, parce qu’il leur restait à nous adresser un compliment
personnel. L’une d’elles avait sans doute pris, pendant que les autres
célébraient Marco Botzaris et M. de Rigny, des informations sur notre
compte, et d’après ce qu’elle en put apprendre, toutes à l’unisson, commencèrent
une improvisation qui nous fut traduite mot à mot, et dont
la bienveillante simplicité portait l’empreinte des moeurs du premier
temps, ce qui nous toucha d’autant plus, que les lieux où se passait
cette scène étaient à nos yeux resplendissans de souvenirs homériques.
La plaine où je. chassai et herborisai en tout sens est d’une fertilité
extraordinaire, à'en juger par la vigueur de la végétation printanière
dont elle était parée, et par la beauté de. quelques cultures de blé qu’y
avaient essayées plusieurs paysans. De beaux Caroubiers et de très-gros
Poiriers sauvages (Pyrus parviflora, n.°652) s’élevaient çà et là entre
une grande quantité de troncs énormes d’Oliviers coupés par le pied et
qui avaient été comme soigneusement brûlés un à un. On m’a assuré,