végétation calcinée: il s’y mêlait aussi quelques Oignons énormes de la
Scille maritime (n.° 461), saillans, comme dans tous autres lieux découverts
du pays, au-dessus du sol, où ils commençaient à s’alonger,
l’époque de leur floraison ne devant pas se faire attendre. C’est ici
que nous trouvâmes entre les touffes dures des herbes brûlées par le
soleil, et en plus grande quantité que partout ailleurs, cette monstrueuse
espèce de Sauterelle sans ailes, si vivement diaprée de vert, de jaune et
de noir luisant, dont la singularité détermina Brullé à donner la figure.1
Les mâles et les femelles se recherchaient alors, et nous les trouvions
unis par centaines de paires sur de très-petits espaces; pour multiplier
de la sorte, gros et lourds qu’ils sont, il faut que ces insectes n’aient
point d’ennemis; dès qu’on les touche, ils laissent échapper par toutes
leurs ouvertures une liqueur jaunâtre qui inspire sans doute du dégoût
aux animaux qui seraient tentés d’en faire leur proie.
Nous campâmes dans un bois de Mûriers, au pied d’une hauteur
conique, surmontée par le village de Sikia, ayant sur les pentes de
gauche un autre lieu, nommé Hagiosthéodoros : les Cousins ne vinrent
pas nous y assaillir en aussi grand nombre que durant les nuits précédentes
; mais la quantité n’en fut pas moins assez considérable pour ne
pas permettre qu’on sommeillât; et quand on leva les tentes le 4 dès
la pointe du jour, trois muletiers de plus étaient atteints de la fièvre.
Après s’être élevé par une pente insensible dans une gorge assez large
d’abord, on arrive entre deux montagnes dépouillées, rocailleuses,
âpres, d’une teinte grisâtre, horribles, en un mot; mais dans le vallon
sont de beaux Oliviers et des Caroubiers de la plus grande taille.
J’étais surpris de ne pas apercevoir un vignoble en approchant du lieu
où j’avais toujours cru que se devait savourer le meilleur vin de l’univers.
Laissant à gauche, sur la crête des rochers, le village d’Angélonès
ou Anglona, on monte encore, pour passer du bassin où l’on voyage
dans le versant de la mer Egée, par un chemin vénitien rapide, dont le
pavé, déjà brûlant peu d’instans après l’aurore, était poli, luisant et aussi
glissant que s’il eût été frotté de savon. Après trois heures de marche,
trouvant des Platanes et de grands Mûriers autour d’une claire fontaine,
l . Bradjporus dasypus, pl. XX X IX , fig. 7, 3 .* Serje.
appelée Tassous, je commandai halte, pour reposer ma petite troupe
naguère si joyeuse, et que son passage à travers le canton d’Hélos avait
ehangée en un convoi de malades. Les mules altérées, qu’on laissa boire
sans précautions dans les réservoirs bien remplis, eurent presque aussitôt
la bouche piquée par des Sangsues, comme je l’avais vu autrefois si
souvent en Andalousie et en Estramadure, où la cavalerie était fort
incommodée par de tels animaux. Je n’avais point remarqué de ces
Annélides en Morée; il y en avait beaucoup et de fort gros ici, ce qui
m’étonna d’autant plus que l’eau était vive et froide. A dix heures du
matin, le thermomètre centigrade, à l’ombre, se tenait à 29 degrés.
A partir de Tassous on descend vers la mer, qu’on aperçoit devant
soi: la pente est à peine sensible; on se croirait en plaine, si des
monts décharnés et, resplendissans d’une brûlante réverbération ne
bornaient la vue à droite et à gauche. De chaque côté courent' à peu
près parallèlement dans leurs lits encombrés deux torrens, entre l’embouchure
desquels s’élève le double monticule où fut Epidaure-Liméra,
dont il ne reste que des décombres, avec l’emplacement de plusieurs
temples, entre lesquels je n’ai point eu le temps de rechercher quel pût
être celui du dieu de la médecine, de qui les secours fussent venus fort
à propos; j’ai visité ces ruines avec Boblaye et Brullé, qui avaient
encore assez de force pour ne pas demeurer indifférens à tout Épidaure-
Liméra fut célèbre par un oracle, dont l’antre s’ouvrait au bord de la
mer : on y voit un trou plein d’eau saumâtre, de quelques pas seulement
de diamètre; mais qu’un pâtre du voisinage nous assura être sans
fond. Représenterait-il le lac Ino, cité par les anciens, qui qualifient
parfois la ville de pierreuse, d’aride et de pauvre : ces lieux , en effet,
n’ont jamais dû être fertiles ni florissans, la terre y manque; et le
port, quoiqu’on l’appelât celui de Jupiter-Sauveur, est toujours très-
mauvais. Plusieurs semblent croire que Monembasie représente Épi-
daureJLiméra; cependant la plupart des vieilles cartes distinguent fort
bien ces deux villes l’une de l’autre, et appellent la seconde Paléoem-
basis ou Palæoemvasia, comme qui dirait l’ancien port. Le Minoa-
promontorium terminait cet ancien port dans le Sud, précisément où
se voit actuellement la première, dont le nom moderne est évidemment