nous parviendrions à dormir d’un sommeil assez profond pour.ne plus
sentir leurs piqûres. L’évêque avait été coadjuteur de ce patriarche de
Çonstantinople, à qui la Porte donna les palmes du martyre vers le
commencement de l’insurrection grecque, et dont le corps, rendu par
les flots de la Propontide, avait été transporté comme une sainte relique
à Odessa. Nous sûmes de ce respectable prélat les détails lamentables
de ce tragique événement, et par quel miracle, sauvé delà fureur des
Turcs, il avait pu venir édifier le siège qu’il occupait au pays d’Hélos :
homme instruit, il me donna une statistique exacte de son diocèse, que
peuplent environ 243 familles; on voyait en ce lieu, outre une trentaine
de maisons éparses sur la hauteur, une vieille tour du moyen âge.
C’est au pied de sa colline dépouillée, que sort tout à coup de terre,
en bouillonnant, le véritable Yasilipotamos; ce fleuve fait aussitôt aller
un grand moulin qu’entourent de fertiles jardins, et des massifs de Roseaux
plus beaux et plus frais encore que tous ceux de l’Iri ; une tradition
locale apprend qu’il y eut autrefois de ces Roseaux qui donnaient
du sucre, et dont quelques pieds, propagés sur les bords du Yasilipotamos,
donnent à ses eaux une douceur que n’ont pas celles du reste
de la péninsule. De là, sans doute, ce nom de Zaccharicalamo, marqué
dans certaines cartes entre ceux de Rolokina, Youvaglia, Agamico et
autres villages imaginaires, qu’on place aussi faussement en ce canton.
Nous trouvant au voisinage de ce qu’on appelle communément les
cascades de l’Iri, je voulus les reconnaître; à en croire les gens du
pays, il ne fallait pas deux heures pour y parvenir. Ayant donc laissé
au camp Brullé, Delaunay et Baccuet, chargés d’explorer la plaine;
Boblaye, qui ne m’avait pas quitté depuis Tripolitza, et Yirlet se joignirent
seuls à moi; nous partîmes avant le jour dans la matinée déjà brûlante
du 2 Juin; pas un de nous n’avait fermé l’oeil durant la nuit, et
je pensais être de retour pour déjeûner et prendre quelques instans de
repos entre dix et onze heures. On voyage d’abord vers le Nord au milieu
d’un pays agréablement inégal, où la Passérine (n.° 520),¿je Daphné
argenté {D. Tartonraira, n.° 54 7) et la Pimprenelle épineuse (n.° 4274 )
se pressent, comme le font les Bruyères à la surface de nos Landes
aquitaniques ; la Yigne, le Coton, le Sésame et le Tab^ç, composent les
cultures qu’on y trouve çà et là. Longeant le fleuve, qui resté à gauche
et qui ne tarde point à s’encaisser, on passe successivement par les
villages, alors entièrement ruinés, de Philisi et de Granisa ; chacun a
ses fontaines, ses jardins enclos de haies ou de murs et de belles plantations
d’Oliviers. Enfin, arrivant sur des hauteurs en avant desquelles
passe un torrent qui vient de Géraki, les guides nous prévinrent qu’il
fallait abandonner nos mules et descendre sur la gauche si nous voulions
arriver aux cascades dont nous eussions dû, nous disaient-ils, entendre
le bruit; les Lentisques, les Andrachné et les petits Chênes à feuilles
persistantes, qui se pressaient de toute part en makis fourrés, empêchaient
que nous pussions juger des dangers ou nous allions nous
engager. Il fut convenu que nos montures ne nous attendraient point ;
mais qu’elles retourneraient au-dessous de Philisi, oii nous les retrouverions.
A peine avions-nous descendu pendant cinq minutes, que la
difficulté de l’entreprise nous fit désespérer de sa réussite ; nous nous
trouvions sur l’escarpement d’un véritable mur de plus de deux cents
mètres d’élévation à pic, et il n’était pas moins difficile dé l’escalader que
d’y descendre. Nous étions tous les trois des marcheurs aussi agiles que
déterminés ; cependant nous fûmes vingt fois prêts à perdre courage :
mais il n’était plus temps de renoncer à l’entreprise si difficile qu’on
nous avait représentée comme ne devant durer que deux ou trois heures;
nous ne pouvions demeurer accrochés aux branchages et suspendus
sur un abîme; ne pouvant remonter, force nous fut de gagner le fond,
ce que nous fîmes, encore que je ne puisse comprendre comment nous
y parvînmes sans nous être rompu les membres. Qu’on imagine les
tours de Notre-Dame à peu près deux fois plus hautes qu’elles ne
le sont, et dont les corniches ou les sculptures, chargées de quelque
humus végétal, supporteraient des fourrées d’arbustes, dont plusieurs
auraient leurs feuilles piquantes; que, passant par-dessus le parapet des
plates-formes, on essaie d’en descendre par dehors à l’aide des saillies
et de la végétation que nous venons d’y supposer, et l’on aura une
assez juste idée du pas où nous nous étions aventurés et dont il ne fallut
guère moins d’une heure pour venir à bout Yirlet,fut le premier rendu,
c’est-à-dire hors de péril. Au fond de l’immense et étroite gorge, tapis