Platane ombrageant une fontaine dont le bassin était taillé dans le flanc
du rempart naturel; et quoique l’eau de cette source fût très-bonne,
les caloyers aimaient mieux, par suite de je ne sais quelle superstition,
aller chercher au fond du torrent celle qu’ils buvaient. Ces bons moines,
récemment arrivés du mont Athos, étaient au no^ibre de trois : ils
avaient avec eux deux religieuses, ce qui me parut bien extraordinaire;
mais qui n’étonnait personne dans le pays, tant la réputation de chasteté
de ces saints personnages était bien établie. Il s’y trouvait aussi
l’un des officiers*de Colocotroni, qui, ayant embrassé la corne de l’autel,
y vivait sous la protection du droit d’asyle qu’avait le couvent : ce lieu
nous assura-t-on, était autrefois souvent peuplé de malfaiteurs, qui s’y
retiraient quand ils avaient commis trop de crimes pour vivre autre
part, et que nul n’eût osé venir arracher du saint lieu qui les mettait à
l’abri de la vindicte humaine. Cependant le capitaine que nous y rencontrâmes,
n’avait fait qu’exécuter un ordre; mais la politique du Président
ne lui permettant sans doute pas toujours de pénétrer dans la fin des
choses, l’instrument attendait qu’on l’oubliât dans Atzigolo; il me pria
néanmoins de me charger d’une demande en grâce; Colocotroni ne put
se refuser de me l’apostiller, et deux mois plus tard la def des champs
fut rendue au scélérat, à qui j’avais eu la faiblesse de m intéresser. Pour
aller du couvent à Karithène, on descend au fond du Gortynus par
un assez bon chemin qui aboutit au pont où passe la principale route
d’Arcadie en Êlide; en ce lieu, où sont de jolies prairies et de beaux
arbres, est bâti un moulin appartenant au monastère d’où nous sortions.
Il faut ensuite remonter par des escarpemens, où des couches puissantes
de Schiste, de Grès et de Calcaire se présentent confusément brisées : les
ruines de l’antique Brenthès, qu’on a cherchées par ici, ne peuvent y
exister; mais on aperçoit Karithène par le Nord, et ce site est tres-beau
(pl. XVII). Nous y rentrâmes par une espèce de porte de ville qui doit
être du moyen âge, mais qui ne tient à aucun système de défense, le
( bourg étant entièrement ouvert. _ ...
Le jour suivant, 11 Juin, la chaleur étant très-forte, je fus avec
MM. Virlet et Delaunay visiter le mont Biaforti; tandis que M.Brullé
s’occupait de zoologie le long de l’Alphée. Nous passâmes d’abord |e
fleuve par le pont très-pittoresque construit au pied du piton que la
citadelle couronne : eh ce lieu dut être primitivement le katovotron par
où les eaux d’un grand lac s’échappaient au-dessous la digue naturelle
qui le fermait du côté septentrional; les conduits mystérieux par lesquels
se dégorgeait sa masse, s’étant agrandis au point que les voûtes
ne s’en pouvaient plus soutenir, le terrain supérieur finit par s’affaisser,
et il en est résulté cette rupture par où nous voyons l’Alphée s’échapper
aujourd’hui entre les bases du Diaforti et le piton de Karithène. De
l’autre côté du pont, en s’élevant sur les racines des hauteurs, on trouve,
au-dessus d’un petit moulin à eau que fait mouvoir un ruisseau, la
fontaine appelée Xyro, dont le bassin présente quelques caractères
d’antiquité; dans le voisinage est aussi une tour carrée, environnée de
jardins enclos, dont Colocotroni s’est, dit-on, emparé sur un Turc. C’est
au-dessus de cet endroit que se voient, outre les chapelles de S. Bazile
et de S. Anastase, et une autre source, les ruines d’une mosquée à
l’entrée d’un défilé, où, dès les premiers jours de la révolution, le redoutable
klephte surprit ceux de Phanari, qui venaient au secours des Musulmans
de Karithène, lesquels furent entièrement détruits, et abandonnèrent
un immense butin. On nous montra la place où Colocotroni tua
cinq ou six combattans de sa propre main. A partir de cet endroit on
descend, dans l’épaisseur d’un bois et le long d’un ravin creusé dans
le Schiste, vers l’Alphée, à peu de distance duquel des nappes d’eau
jaillissent en murmurant à l’ombre de séculaires Platanes et d’entre les
roches pittoresquement culbutées ; peu de képhalovritzi sont plus bruyans
et plus beaux. Abandonnant la route d’Andritsena en cet endroit, on
s’élève à Dragomanoü, village de près de 400 habitans, situé sur des
pentes fertiles, et dont les maisons disparaissent entre des arbres fruitiers
et des plantations de toute sorte : ce lieu, malgré son élévation, est
entouré de Vignes; des sources y sourdent de toute part, et l’église,
assez jolie, est située dans un espace uni environné de Noyers énormes.
La famille de Colocotroni est originaire de Dragomanoü, où, nous
assura-t-on, le général naquit: son père y avait été boucher et klephte
renommé; il avait formé son illustre fils au genre de guerre que celui-ci
entend si bien; mais il fut pris par les Turcs, et nous raconterons dans
une autre relation comment ceux-ci le firent pendre.