«ressembler à des masses soyeuses de limon ; elles en sortent quelque-
« fois la nuit, et les habitans du voisinage, qui connaissent bien leurs
<v retraites, n’ont garde de s’en approcher tout seuls. Les voyageurs
« qui passent à portée, sans le savoir, sont souvent atteints de petits
« cailloux qu’elles s’amusent a leur lancer, et plusieurs ont entendu les
« éclats moqueurs de leur rire, quand celui qu’elles lapident cherchait à
« découvrir d’oii lùi pleuvaient les eoups. Je suis bien surpris que pareille
« chose ne vous soit pas encore arrivée quand vous allez si imprudem-
« ment chercher des herbes dans les képhalovritzi et dans le creux des
« rivières, sur lesquels je vous avertis toujours inutilement de ne pas
« vous pencher comme vous le faites, et oit il finira nécessairement
« par vous arriver malheur, tout Francs que vous êtes. Les pâtres
«/qui font de même et qui vont seuls se désaltérer aux lieux écartés
« ou se tiennent les plus belles, et dont la bonne mine séduisit ces lu-
« briques esprits, se sont plus d’une fois trouvés enlacés dans leurs
« bras amoureux. Les Anaraïdes empruntent dans ces cas-là des formes
« humaines et de la plus grande perfection. Malheur à ceux qui s’y
« laissent aller ! ils goûtent des torrens de plaisirs, dont aucune autre
« femme ne saurait donner l’idée. Une fois que les hommes s’en sont
« délectés, ils ne peuvent plus se contenter des carèsses accoutumées,
« qu’ils prennent même en dégoût. Ils reviennent sans cesse au bord de
« la fontaine oh tant de voluptés les enivrèrent; ils appellent la séduc-
« trice, èt si celle-ci y prend plaisir, on ne tarde point à les trouver
morts d’épuisement. Si l’Anaraïde n’en veut plus et dédaigne la ten-
« dresse de celui qu’elle avait comme ensorcelé, celui-ci se laisse bientôt
mourir de chagrin à la place même oit commença pour lui , au sein
« des caresses, la carrière des vains regrets. Il arrive parfois, quand ces
Anaraïdes craignent que l’indiscrétion de celui à qui elles s’étaient
« prodiguées trahisse leur asile , qu’elles prennent le parti de s’en'
défaire. Gare alors au prochain rendez-vous, qu’elles ne manquent
« point de donner pour l’heure la plus chaude du jour. Quand l’im-
« prudent amoureux y accourt, pressé par ime ardeur irrésistible, il
« trouve sa perfide jouant gracieusement à la surface de l’eau, mon-
« trant tour à tour ses épaules et sa poitrine de neige, plongeant et
« replongeant pour enflammer davantage sa dupe et lui faire désirer plus
« ardemment les délices qu’il se promet; alors, au lieu dè sortir de son
v cristal, elle l’engage, avec un visage riant, à venir s’ÿ plonger avec elle
«. pour prendre à la fois, comme un poisson, de brûlans plaisirs et de la
« fraîcheur. A peine le pauvre malheureux; haletant d’amour, a-t-il
«. cédé aux invitations de l’enchanteresse, qu’il se trouve saisi et entraîné
au fond de là source,- dans laquelle il est aussitôt noyé.” Ainsi disparut
Hylas chez les poètes et les historiens qu’André n’avait pourtant
pas lus. Ce bon homme, qui nous recommandait sàns cesse de nous défier
des Anaraïdes, n’eût, pour rien au monde, été puiser de l’eau pour
son service, s’il n’eût été accompagné de quelqu’un, et lorsqu’on lui
faisait remarquer qu’il n’était plus d’âge ni d’encolure à plaire, il hochait
la tête en disant : «qui peut deviner leurs caprices! si l’envi leur en
« prenait, elles ressusciteraient des morts pour s’en divertir; je vous dis
« que j’en ai vu, et qu’il n’y a pas fort long-temps encore j’ai failli,
« moi qui vous parle; tomber dans leurs piégés. C’était à minuit, en
« rentrant au port de Coron, où j’avais alors ma maison et ma famille,
« que les Egyptiens ont détruites. §— Et comment étaient faites ces Anaraïdes
que vous ayez vues, lui demanda Baccuet, qui eût donné tout ce
qu’on aurait voulu pour en rencontrer. — «Elles étaient deux, répondit
« André, et se tenaient assises près d’uné fontaine que je vous montrerai
« quand nous irons par là ; elles m’entendirent venir, parce qu’étant seul,
« ,sans armes et ayant quelque appréhension de passer si tard en cet
endroit, je frédonnais une chanson. Quand je fus trop près d’elles pour
«. qu’il y eût moyen de leur échapper, même alors que je me serais senti les
« forces nécessaires pour fuir, elles se levèrent d’un air caressant et sou-
« riant ainsi que des anges. Leur taille était comme celle de cette Hélène
« qui vous parut l’autre jour si jolie, mais elles l’étaient bien davantage.
« Je n’ai jamais rien vu de si engageant.... Ah! ma pauvre femme, si
« je n’avais,eu si peur... ! * André s’animait dans cette partie de sa narration,
et nous décrivit, en énumérant les charmes des deux objets de
sa vision, les perfections du beau sexe telles qu’il s’en formait l’idée;
il avait bien remarqué l’éclatante blancheur de leur peau, la suave
rondeur de leurs formes, et surtout leurs yeux et leur longue chevelure