CHAPITRE V III.
EXCURSION AU POURTOUR DU GOLFE DE MESSÉNIE. ASINÉ, CORON (LlAN-
TIQUE COLONIS), PÉTALIDI (CORONÉ). NISI.*CALAMATA (PHÆRE). CANTON
DE ZARNATE (GÉRENIE). SCARDAMULA. SUR LES MANIOTES. ASCENSION
AU TAYGÈTE ET DE SON SOMNIET AUX SOURCES DU PAMISUS PAR LES
RUINES DE THURIA.
Lorsque nous partîmes de Modon dans la matinée du 20 Mai, il n’y
avait plus d’eau sous le pont du Silozo, qui n’attend pas l’été pour
demeurer totalement a sec. Dans la partie naguère marécageuse de la
plaine, le sol était devenu dur comme du fer. Les hirondelles, d’une
extrême familiarité et se laissant approcher lorsqu’elles étaient posées,
au point qu’on les eût pu attraper avec un filet à papillons, trouvaient
à peine dans quelques trous demeurés humides la boue nécessaire pour
la construction de leurs nids. La route, laissant à gauche le hameau de
Kalafati entièrement abattu, s’élève non dans les montagnes, comme
on l’a récemment imprimé quelque part, mais sur de modestes hauteurs
que commandait la plus méridionale des redoutes égyptiennes, qu’on
laisse à gauche, et sur laquelle je montai avec Baccuet pour contempler
le Taygète, que je projetai d’escalader incessamment. On ne se dirige
point vers le Sud, comme le dit l’auteur de l’Itinéraire à Jérusalem, mais
exactement a l’Est, et l’on marche durant quelque temps sur un plateau
anfractueux, dont les eaux coulent d’un côté dans le' Silozo, et de l’autre
à la mer. Nous rencontrâmes une longue colonne d’Arcadiens, suivie d’un
nombreux bétail, qui, ayant passé l’hiver à l’embouchurp de l’un des
torrens de droite, où l’eau et l’herbe avaient abondé, en étaient chassés
par le commencement de la saison sèche, et s’acheminaient vers leurs
montagnes, où les neiges, en se fondant, découvraient de succulens pâturages
; le petit vallon d’où ces nomades paraissaient sortir se nomme, nous
dit-on, Hamilorevma : à sa rive gauche, près de la mer, étaient les ruines
du hameau de Ramaria. A deux lieues environ, nous étions descendus
dans une plaine du genre de celle dp. Modon, que traversent successivement
deux cours d’eau, dont le second, qui est le plus considérable, s’appelle
Lakanades, d’un village situé à une lieue de lft mer sur sa rive
gauche : ce fluviole descend presque en droite ligne des pentes méridionales
de Zarnaoura et de Lycodimo; il a près de trois lieues de longueur,
et s’est légèrement encaissé vers son embouchure dans le sol gras de l’atté-
rissement que ses transports lui ont formé. Nous traversâmes une étendue
herbeuse où la végétation commençait à jaunir, pour gagner le point du
rivage où semblait devoir être son embouchure. Des Nérions, entremêlés
à des touffes de Canevères, se pressaient sur ses bords; il tombait dans un
petit lac oblong, que la profondeur de ses eaux très-pures faisait paraître
d un bleu très-vif, et qu’une barre de sable séparait de la mer, où nous
avions cru qu’il se jetait directement; il n’avait donc point d’embouchure
à proprement parler. Tous les fleuves de la Morée, les plus grands
comme les plus petits, sont sujets au même inconvénient, auquel les
côtes d’Elide notamment, bordées de lagunes et d’étangs, doivent leur
insalubrité; ce n’est que dans la saisonhyémale, et lorsque les grandes
pluies y coulent à plein canal, que, rompant leurs barres et triomphant
de tous les obstacles que leur oppose l’action des vagues, ils portent directement
leur tribut au réservoir commun; en tout autre temps, les
terres et galets qu’ils entraînent, s’arrêtant et s’amoncelant dans la ligoe
de contact de leur courant et des flots contraires, s’accumulent en bancs de
sable et de galets, et finissent par en obstruer les dégorgeoirs. L’Alphée,
le Pamisus et l’Eurotas sont les seuls qui ne se bouchent point complètement;
néanmoins des barres s’y élèvent au point que les moindres
bateaux n’y sauraient plus entrer dès la fin de Juin.
C est dans la plaine arrondie de Lakanades que nous commençâmes
à trouver communément ce job Névroptère appelé Coa (n.°355), qui*
pour Linné, était une Panorpe : cet insecte aux ailes de gaze, avec les
deux longues rames qui, loin de faciliter son vol, semblent l’embarrasser
dans l’air, a des allures singulières de gaucherie qui contrastent avec
l’extrême légèreté et l’élégance de ses formes.
De l’autre côté d’un très-faible contrefort est une autre petite plaine
riveraine, également herbeuse et, vers la mer surtout, couverte de roseaux.
Les Turcs, dit-on, mettaient autrefois beaucoup de chevaux au vert en
cet endroit; il y coule un fluviole qu’on nous nomma le Grivi, et qu’on
passe sur un pont d’une arche en pierre alors fort détérioré. A droite