gliko, le verre d’eau, le café avec son marc et la pipe, nous témoigna
en peu de mots son amour pour la France et son respect pour le
général en chef; «qu’il voyait, nous dit-il, avec surprise et de sinistres
« pressentimens s’éloigner d’un pays où sa présence eût été nécessaire
« pour long-temps encore." U était fort dévoué au nouvel ordre de
choses, mais trouvait que le Président accordait trop d’importance à
certains chefs qui, pour avoir été beys, ou s’appeler encore béizades,
ne valaient pas certains nobles capitaines, dont les pères n’avaient point
a la vérité gouverné le pays, mais qui, par cette raison, étaient de
meilleurs Grecs, puisqu’ils n’avaient jamais rien tenu des Turcs. Le
Spartiate entendait désigner personnellement son voisin de Zarnate,
dans les terres duquel nous devions camper le soir même. 11 nous conseilla
de ne point accepter l’hospitalité dans sa tour; je lui répondis que
je ne dormais que sous la tente. «Tous pourriez sans inconvénient, me
« dit-il, faire infraction à cette règle, quand vous visiterez Mourdzinos
« de Scordamule, ou Dzanetaki de Mavrovouno. Ce sont deux grands
« capitaines et gens d’honneur. "
A peu de distance de Dolis, on entre dans le bassin central du canton;
trois grands villages presque contigus, Malta, Yaroussi et Malé-
vrianika, s’y présentèrent en même temps à nos yeux, et de puissans
pyrgos couronnaient les hauteurs sur lesquelles s’étendait chacun d’eux.
Le plus fort de ces pyrgos était celui au pied duquel nous campâmes
dans une superbe plantation de Miniers; nous n’avions jamais vu un
si grand concours de monde s’empresser autour de nous : les hommes
étaient presque tous armés de leurs atagans, et portaient à leur ceinture
des pistolets plus ou moins enrichis de placages; faisant, sur ce
point, peu de cas des ordres du Président, qui avait défendu qu’on
marchât ainsi armé. Les femmes et leurs enfans nous regardaient comme
si nous eussions été des miracles. Notre camp dressé en six minutes par
les sapeurs, qui voulurent montrer leur adresse à cette multitude, provoquant
l’admiration générale, fut envahi en un instant; nous n’y étions
plus chez nous. J’avoue, que je m’attendais à ce qu’il nous serait dérobé
beaucoup de choses; l’affectation que mettaient les curieux à se dire
emphatiquement Spartiates, ne me rassurait point. Je me rappelais que
les lois de leurs pères autorisaient le larcin, et je né pus m’empêcher
d’en faire l’observation à l’un des visiteurs, qu’à son costume et aux
airs qu’il prenait envers les autres paysans, je jugeai devoir jouir de
quelque influence. «Ne craignez rien, me dit-il, sans paraître blessé de
« mes soupçons; les Spartiates ont, en effet, les mains longues bors de
« leur pays; mais ils n’en exercèrent jamais la souplesse sur les voya*
« geurs qui, ayant bravé les mauvais chemins et les histoires pires qu’on
« en raconte, pour les venir visiter chez eux, se livrent entièrement
« a la bonne foi publique." Je connus bien, lorsque Yillard fit dans la
soiree la revue de nos effets , pour voir s’il y manquait quelque chose,
que le Spartiate m’avait dit vrai.
Je voulus passer une journée toiit entière aii milieu de si braves
gens et dans un si beau pays. Le 26, d’asséz bon matin, je reçus la
visite de Mavrico-Poulo de Malta; ce capitaine était un véritable philosophe,
représentation vivante de l’un de ces sages, au nombre de sept,
dont la Grèce antique tire une partie de son illustration, et comme il en
est encore plus d’un dans cette Grèce moderne où des voyageurs superficiels
les ont méconnus. Mavrico-Poulo, vêtu d’une longue robe noire
toute unie, que retenait autour de ses reins un schall écarlate attaché
en manière de ceinture, portait Une longue barbe et marchait sans armes,
suivi seulement de son frère Dimitri, bel adolescent, assez richement vêtu,
et de deux ou trois serviteurs. Cette simplicité d’allure était une chose
unique dans un pays où les personnages d’un certain rang affectent un
luxe guerrier de sabres, de poignards, de pistolets, de fusils et d’escortes
brillantes, qu’on peut comparer à ces suites de gentilshommes que traînèrent
après eux nos grands seigneurs jusque vers le commencement du
siècle de Louis XIY. Mavrico-Poulo voulait montrer par là qu’il ne se
connaissait point d’ennemis; et lorsqu’il s’aperçut que sa sécurité me surprenait,
d’après ce que je connaissais déjà des choses du Magne, il me dit
avec une expression de modestie, empreinte de dignité: «Je n’ai jamais
« causé de tort à personne; le respect dont on m’environne partout vient
« de ce que je me rends utile en raccommodant entre eux mes compatriotes
« quand ils sont brouillés et en empêchant, autant qu’il est possible, les
« disputes ou les guerres. Ils savent bien que si je venais à leur manquer,
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