tour vénitienne passablement conservée, bâtie sur le modèle de celles
que les Espagnols appellent Atalaja, s’élevant à peu de distance sur
les rochers de la gauche du port, lui servait de vigie et peut-être même
de phare.
Peu après les ruines oii nous venons de nous arrêter, on quitte la
conque pour gravir à l’Est, sur les montagnes qui en forment le pourtour,
par un étroit et rapide défilé, nommé Paléodervéna; ce mauvais
pas est creusé à travers des rochers, et passe pour avoir été jadis l’un
des plus dangereux de la Morée; des bandits s’y tenaient habituellement
en embuscade. Les Turcs construisirent vers le milieu un corps-
de-garde retranché, contre les restes duquel nous passâmes. Quand
Pélegrin se rendit de Modon à Coron, deux troupes de brigands albanais
l’occupaient et augmentaient, dit ce voyageur, la misère et la confusion
qui régnaient alors au royaume de Morée. Ce voyageur raconte1 comment
ces bandes furent enfin exterminées en moins de trois mois par suite
des mesures vigoureuses que prit le sérasquier, lequel fit empâler une
partie de la population; Pélegrin fut curieux de voir mettre à mort de
la sorte deux prisonniers, qui arrivèrent à l’endroit du supplice portant
eux-mêmes l’instrument qui leur était destiné, et qu’ils remirent aux
Turcs chargés de l’exécution. Ceux-ci, ayant fait coucher les patiens le
ventre contre terre, avaient peine à faire pénétrer le pal d’un bout à
l’autre de leur corps à grands coups de massue. Un pays, où l’on empale
i . Page 4o d’une Relation in-18, en deux parties, formant en tout 190 pages environ, imprimée
chez J. B. Boy, Marseille, 1722. Ce livre est maintenant assez rare. — L’auteur visita la
Morée de 1718 à 1720; c'était un pauvre diable de poète, qui, «ne pouvant parvenir à se faire un
établissement en France, où il avait épuisé toutes ses ressources, accepta le parti qu’on lui fit
d’aller exercer un vice-consulat dans une ville du royaume de Morée. Cette place n’était qu’un
misérable os à ronger, et après tous les efforts qu’il fit pendant deux ans dans la carrière diplomatique
en Grèce, il n’avait pas gagné huit cents piastres turques.8 Pélegrin ne nous apprend du
reste rien d’important sur Coron, qu’il habita environ trois ans. Son livre n’est guère rempli
que d’histoires scandaleuses, de mauvais vers et de chansons bachiques de sa façon, analogues
pour la médiocrité aux oeuvres de cet abbé Pélegrin :
« Catholique au matin, et le soir idolâtre,
« Qui dinait de l’autel et soupait du théâtre.8
L’un et l’autre étaient Marseillais; ils durent être à peu près contemporains et furent peut-être
parens. On ne doit pas les confondre, et les biographes qui n’ont point oublié l’article du prêtre
mondain, mort en i 663, ne disent pas un mot du vice-consul de Coron qui a pourtant fait un liVre.
les paysans qui ne veulent pas se soumettre à toutes les exigences de
leurs oppresseurs, doit se dépeupler promptement; aussi le canton mon-
tueux où nous entrions, et que sillonne un grand nombre de vallons
susceptibles de culture, était-il presque désert dès la fin du siècle dernier.
Nous y rencontrions les traces d’une multitude de maisons et de
villages, renversés évidemment avant l’invasion d’ibrahim, qui n’a
qu’achevé la ruine de cette extrémité de la péninsule.
Après la montée, on trouve un plateau fertile, et sur la droite s’élève,
a 516 mètres, le sommet de l’Hagios-Dimitrios ; nous distinguions au
Nord-Ouest le mont de Mandilia, si riche en fossiles, qui, sous l’aspect
où il se montrait, présente des formes plus prononcées que je ne
lui en supposais; vers le Septentrion étaient les crêtes du Lycodima et
de Zamaoura. Leurs pentes adoucies vers le Sud, entièrement dépouillées
d’arbres, paraissaient sillonnées par des ravins profonds, qui séparaient
de petits plateaux. Les monts sur lesquels nous étions, regardant
au contraire le Nord, étaient plus verdoyans; plusieurs des torrens qui
s’y creusent des encaissemens assez profonds, n’avaient, nous assura-t-on,
pas d’issue, et forment des bassins à katavotrons. Ayant encore monté
jusqu’à l’emplacement du village ruiné de Paléogritzi, l’abondance de
l’herbe et de l’eau nous décidèrent à y camper; ce nom de Paléogritzi
(ancien Gritzi) semblerait indiquer que ce lieu avait eu jadis une certaine
importance, et probablement on trouverait quelques ruines dans les
environs, si l’on avait le temps de les yv chercher. Il est indiqué dans
les plus vieilles cartes sous le nom de Grisso ou Crisso, où quelques-
unes ajoutent olim Colone. Arowsmith y voit Asiné : il eût mieux
valu, à l’exemple de Gell, ne point citer cette ville antique que de la
placer ainsi; Gosselin est tombé dans une erreur semblable quand il
dit1 : « qu’Asiné paraît avoir été situé près du village actuel de Sa-
« rachta. Il n’existe point de village de ce nom en.Messénie, mais un
Saratza, qui n’a jamais pu avoir le moindre rapport avec un port
donnant son nom à un golfe, puisque ce lieu est situé précisément au
milieu des montagnes de l’intérieur, à près de 400 mètres de hauteur
au-dessus du niveau de la mer.
i . Dans son Strabon, t. III, p. 195, note 5.