à gagner les bords du lac; mais nous reconnûmes que le trop plein de ses
eaux se perdait dans un immense katovotron, creusé en grotte dans le flanc
des collines occidentales : ce sont ces mêmes eaux qui reparaissent peut-
être dans la plaine de Frankovritzi; mais peut-être aussi n’alimentent-
elles pas l’Alphée; une partie pourrait bien prendre son cours souterrain
vers la Laconie pour grossir l’Eurotas. Nulle part on n’observe
autant de bizarrerie dans la disposition des bassins et des pentes s et
c’est au Péloponnèse surtout qu’on peut apprécier ce qu’elles valent,
ces théories fondées sur la régularité nécessaire des versans, qui font
depuis si long-temps surcharger les cartes de chaînes orographiques systématiquement
distribuées. C’est parmi les décombres de Pallantium que je
rencontrai, mort depuis peu, je ne sais par quelle cause, un Renard
dont j’ai fait figurer la tête' : il offrait cette particularité que ses oreilles,
beaucoup plus grandes que celles des Renards ordinaires, ne l’étaient
pas tant que celles du Chacal, et que, longitudinalement mi-partie de
noir vif et de roux clair, ces parties semblaient indiquer le résultat du
croisement de deux animaux dont les instincts sont fort differens; il
restait aussi à Pallantium les vestiges d’une grande tour, mais nous n’y
découvrîmes pas d’enceinte. En revenant au kan, nous visitâmes, au
pied des montagnes qui nous restaient sur la gauche, un enclos carré
en pierres sèches, qu’entouraient les restés de masures qu’on nous dit
avoir été bâties et habitées, peu de temps avant la dernière guerre,
par une petite colonie de pâtres albanais.
Un orage subit éclata peu d’instans après notre départ pour Tripo-
litza, où nous arrivâmes au bout de deux heures de marche, tellement
mouillés par une pluie comme j’en ai essuyé rarement même entre les
tropiques, qu’en entrant dans la ville, nous ressemblions bien plus à
des naufragés, sortant du sein des flots, qu’à des voyageurs maîtres de
choisir le temps et l'heure où ils se mettent en route. Peytier et Roblaye,
que nous rencontrâmes venant au-devant de nous quand l’eau du ciel
eut cessé de tomber, avaient peine à nous reconnaître avec nos vêtemens
collés au corps, et les bords de nos chapeaux nous retombant sur la
figure. Baccuet a représenté l’ancienne capitale du pacbalic de Morée,
i . Tome III, i.Te part., S* i ,p* 9*
telle que nous là trouvâmes après l’averse, c’est-à-dire dans le plus
déplorable état de misère et de destruction, qu’attristait encore un ciel
rembruni. N’ayant pu rencontrer, pour dresser nos tentes, un espace
qui ne fût délayé, la Commission s’établit dans une mauvaise auberge
tenue par une famille grecque.
Tripolitza, quoique déjà toute en ruines, était une ville très-moderne.
« Au temps de la révolution de 1 770, dit Rhulières, et après la prise
« de Mistra, les Turcs restant les maîtres paisibles de toute la presqu’île,
« la plupart s’étaient réunis en ce lieu nouveau, qui n’était encore, il y
« a peu d’années, qu’un village sans nom.1” Cependant en 1719, au
rapport de Pélegrin2, le sérasquier musulman y résidait déjà; « et, dit
« le voyageur provençal, les Grecques ne m’y parurent pas si farouches
« que celles du reste de la Morée.” Pausanias parle bien de ce qu’on
nommait Tripolis, c’est-à-dire les trois villes, au coeur de l’Arcadie3, mais
seulement comme de la réunion des trois bourgs de Callia, de Dipoena
et de Nonacris, dont les populations furent comprises entre celles qui
composèrent originairement Mégalopolis. Tite-Live4 cite une acropole de
ce nom sur les confins des Mégalopolitains et de Laconie; du reste, la
Tripolitza actuelle est omise dans la plupart des cartes du siècle dernier.
Lès Turcs voulurent certainement, avant l’époque oii l’indique Rhu-
lières, se faire une place centrale. La capitale de leur sandjiac et la résidence
des pachas avait d’abord été Modon; mais ce lieu ne pouvait,
dans leur système d’occupation, valoir un site que sa position rapprochait
en quelque sorte de tous les points de la province, parce qu’il se
trouvait vers son milieu et dans le fond d’un bassin fertile très-peuplé,
que protégeait une enceinte naturelle de hautes montagnes, dont il est
facile de défendre les passages ou dervéni. Le climat de ce bassin, fermé
de toutes parts, est d’ailleurs salubre; les ardeurs de l’été y sont tempérées
par l’altitude : trois grandes cités antiques disposées en triangle
dans son étendue fournissaient des matériaux de construction, comme
préparés par les générations effacées, à l’usage des profanateurs; et Pallantium,
Tégée avec Mantinée, furent dans le voisinage comme des
i . Anarchie de Pologne, t. m , p .584. — 2. Première partie, p. 46, et deuxième part., p. 137.
— 3. ' Lib. v n i, cap. 27. — 4* Lib. XXXV, cap. 17.
I 5 2