au risque de blesser Brullé, de tirer un coup de fusil presqu’à bout
portant dans la poitrine de la bête furieuse, laquelle fut tomber en roulant,
presque entre les jambes de notre camarade, aussi surpris de voir jaillir
du sang autour de lui, que de l'explosion qui venait de se faire entendre
à son oreille;, la rage des deux autres Chiens changeant aussitôt d’objet,
ils se ruèrent avec des hurlemens affreux sur leur pareil abattu, le mordant
et le déchirant à nos yeux, comme s’il eût ete quelque piece de
gibier abandonnée à leur dévorant appétit. Le râlement extraordinaire
du mourant, les cris des enragés qui le mettaient en lambeaux, la
détonation de l’arme à feu et nos voix, ayant bientôt attiré nos gens et
toute la troupe des Karithéniotes, ceux-ci commencèrent a ramasser des
pierres et à les brandir; les femmes, avec glapissemens, excitaient les
hommes à nous les jeter. „Vengeance, que la malédiction et l’anathème
-« soient sur vous,” s’écriaienhelles en tordant leurs bras. Sans perdre
une seconde, je rechargeai avec une balle que j’eus bien soin de montrer,
le canon que je venais de tirer, et ma caravane ayant eu le temps de se
mettre en garde, je déclarai fermement, par la voix de mon interprète,
que j’allais, quoi qu’il pût s’ensuivre, abattre net, comme le Chien
expirant sur la place, le premier ou la première qui lancerait soit un
caillou soit la moindre poignée de terre. Cette sorte de proclamation
de la loi martiale dissipa l’attroupement à la minute; les bergers et les
bergères changeant de gestes, se jetèrent, pouf les arrêter, sur plusieurs
autres Chiens, qui venaient se mettre de la partie, et les ayant couchés
par terre, leur maintinrent à deux mains la tête contre le sol, en leur
couvrant les yeux; alors nous défdâmes en sécurité au milieu de ces
bonnes gens, que je n’avais offensés que malgré moi, et dont je m’étais
pourtant vu au moment de tuer peut-être une paire.
De Smarlina nous portâmes un dernier coup d’oeil sur les remparts de
Phigalie, restant de l’autre côté du ravin, qui les défendait du côté
occidental comme une sorte de large fossé : ils se montraient encore im-
posans ; on les pouvait suivre de l'oeil j usque sur l’acropole avec les tours
carrées qui persistent dans cette partie; commençant ensuite à descendre,
nous tînmes, pour gagner le lit delà Néda, un sentier rapide sur des pentes
souvent dangereuses par leur raideur, mais où l’on trouve toujours des
branchages pour s’accrocher, avec des plantes fort curieuses, au nombre
desquelles se distinguait une élégante Campanule (n.° 296). A mesure que
nous cheminions, les remparts latéraux du fleuve s’éloignaient l’un de
l’autre en diminuant de hauteur; l’austère gorge devint un riant vallon,
ou nous arrivâmes sur un terrain parfaitement uni, composé de sable et
de galets variés, qui, de loin, nous avait paru d’une grande blancheur, et
vers le milieu duquel l’onde couleur du ciel décrivait, ainsi qu’au temps
de Pausanias, qui l’avait fort bien remarqué, de nombreuses et molles
sinuosités (voyez p. 248). Bientôt nous rencontrâmes le torrent qui vient
des hauteurs de Yervitza, avec une route pour Andritzéna et Phanari :
cet affluent était presque aussi fort que le fleuve lui-même, et sa rapidité
encore plus grande; l’eau en était admirablement pure, nous en eûmes
jusqu’aux genoux, et continuâmes à cheminer le long de la rive septentrionale
sur un espace uni assez large, difficile à parcourir à cause de la
rondeur, de la désunion et du volume des cailloux qui le composent; on y
trébuchait à chaque pas sur du Calcaire moréotique poli, du Grès, du
Jaspe et autres roches roulées. Le Gatilier en touffes pressées bourgeonnait
çà et là, mais n’étalait point encore ses bouquets d’épis de la couleur
du Lilas pâle; desNérions, que leurs corymbes de corail commençaient à
empourprer, s’y mêlaient avec de glauques Tamaris. Il nous fallut successivement
passer, vers leur embouchure, trois autres cours d’eau venant
du Nord, et dont le tribut était fort abondant, particulièrement dans
celui qu’on nous dit venir de Tzourla. Nous arrêtant, après quelques
heures de chasse et d’herborisation, à l’ombre de plusieurs beaux Platanes
, avec lesquels croissaient quelques Noyers, nous contemplâmes
les hauteurs somptueusement boisées que nous avions vis-à-vis : on y
distinguait les gorges des petites rivières dont nous avons traversé l’origine
en nous rendant de Sidérokastron aux cascades du fond de la Néda.
Plusieurs kalives y étaient éparses; elles dépendaient des villages délicieusement
situés de Platania et de Karamoustapha.
A partir de notre halte, qui eut lieu non loin des ruines d’un moulin
assez considérable, le lit du fleuve le plus cristallin que j’aie jamais vu, se
contourne de plus en plus en se divisant, et nous en passâmes plusieurs
bras non sans quelque danger; à l’endroit où nous dûmes traverser son