depuis que la Russie était en guerre avec la Porte, foulé cette terre de
Cécrops. M. le Président paraissait désirer que je ne m’y hasardasse
point, tant que la paix ne serait pas promulguée, et je ne sais dans
quel dessein certaines personnes m’insinuaient de n’y point aller; pour
ne donner d’ombrage à qui que ce fût, je dissimulai mes projets et ne
m’y acheminai pas directement. Je me rendis d’abord à Métana, afin
d’en explorer les volcans, puis au port d’Epidaure et dans cette ville
de l’intérieur qui sous le nom d’Hiéro fut également sous l’invocation
d’Esculape. Je visitais ensuite Corinthe et son acropole qui semble
encore régner sur deux golfes; je trouvais bien plus considérables qu on
ne les a représentées, les ruines du lieu ou se célébraient, sous le nom
de jeux itshmiques, les plus anciennes solennités de la Grèce; des grottes
et des conduits souterrains dont nul voyageur n’avait parlé, et les traces
de beaucoup de monumens, y méritent l’attention des véritables savans,
pour qui des moulures et des corniches ne sont pas les seules choses
dignes qu’on s’y arrête; à Mégare, oîi n’existait plus une maison debout,
je trouvai, parmi des amas de décombres, l’excellent général Trézel, avec
ses troupes régulières ; étant descendu au port de Nisée, je recueillis sur
la plage cette élégante Anadiomène que j’ai figurée dans la dernière
planche de notre Flore (pl.XXVII bis, fig. 5, n.° 1480) ; cette puissante
tour du sort de laquelle un cheveu décida, y subsiste encore;
enfin je touchai a Eleusis, riche en ruines, et ou je rencontrai Vazo
avec sa bande de palikars; après avoir parcouru les environs de la
Ville des mystères avec ce chef fameux, je passais à Salamine, oii je
reconnus que la position du port antique existe à l’opposé de celle qu’on
lui attribuait. Cette île célèbre s’appelle maintenant Kalorie, et le tombeau
de Télamon, père d’Ajax, s’y voyait encore non loin de notre
mouillage : du village d’Ampelonia qui en était également rapproché,
on distinguait ce cap Cynosure, d’où l’extravagant roi de Perse put voir
le désastre de ses flottes ; y étant monté pour observer le détroit où se
rendit le combat naval qui sauva la Grèce au temps de sa grandeur,
je pensai m’être fait oublier de ceux qui m’avaient paru craindre que je
visitasse Athènes avant eux. Accompagné seulement de Yirlet et de deux
habitans de Tino, dont l’un savait le turc, j e gagnai en canot le Pirée que
nous trouvâmes entièrement désert; y étant débarqués, nous n’hésitâmes
point à nous enfoncer dans la campagne, et après avoir résolûment
surmonté plus d’une difficulté, nous parvînmes jusqu’à Jussuf-bey,
gendre d’Omer-pacha de Négrepont, commandant de l’Attique, et de qui
nous fûmes parfaitement reçus. Cette heureuse promenade fit quelque
bruit à Egine, où nous n’étions pas rentrés depuis vingt-quatre heures,
que le chef de notre légation se hâta d’aller visiter à son tour ce Jussuf-
bey, qui faisait un si bon accueil aux Français.
Les pluies de la mi-Octobre ayant commencé à désaltérer la terre,
comme je m’étais rendu à Poros, je poussai mes reconnaissances dans
le canton de Damala jusques à Trézène, dont j’ai parfaitement reconnu
les ruines. La campagne commençait à se parer de fleurs nouvelles, dont
quelques-unes, dans ces doux climats, persistent durant l’hiver jusqu’aux
premiers jours du printemps; mais ces fleurs automnales sont
pour la plupart celles d’humbles végétaux, tels que des Mandragores,
des Safrans et des Amarillides. M’étant remis en mer, toujours sur le
brigg de Dzanétaki, je ne négligeai point, en doublant le cap Malée,
de faire déposer à sa base quelques provisions pour ce personnage mystérieux
alors fameux dans le pays sous le nom de l’hermite sauvage, et
dont je réserve l’histoire pour une autre occasion : je l’aperçus en oraison
dans la niche qui lui sert d’asile, et montrant le ciel de l’index,
comme pour nous exprimer que notre offrande n’échappait point à la
vue de l’Eternel. Je m’enfonçai de nouveau dans le golfe de Laconie,
afin de faire mes adieux au brave chef de Sparte orientale, qui me
reçut encore au bruit du canon sur son île parfumée de Fenouil.
Rendu à Navarin, d’où je renvoyai à Dzanétaki le navire qui m’avait
été confié, j’y trouvai la Cybèle qui nous avait tous portés en Morée,
et sur laquelle seul je revins en France avec M. de Robillard; ce capitaine
mit beaucoup de grâce à réclamer son ancien passager, et je saisis ici
la seule occasion que je trouverai peut-être de publier la reconnaissance
dont je demeure pénétré pour les attentions dont il ne cessa de me
combler.
Ce fut à la fin de Décembre que nous arrivâmes à Marseille, d’où,
condamnés à la ridicule quarantaine par messieurs de la santé, nous