chez les Anglais de Cérigo, oit la liberté leur fut rendue. De Ruloneski ,
Navarin apparaissait rougeâtre, au pied du Saint-Nicolo, tout blanc. La
roche percée qu’on double en entrant à la partie occidentale de la passe,
et que Baccuet a figurée dans la vignette finale du chapitre II (p. 77),
s’y montre par le côté où se voit la tombe dont il a été question au
commencement du même chapitre (p. 48). Sous cet aspect, que j’ai
représenté dans la planche IX, la partie méridionale de la baie se dessine
avec majesté, en s’ouvrant vers la grande mer comme par une simple
embrasure.
Lorsque les Grecs eurent pris Néokastron, et qu’ils s’y furent établis,
le brave philhellène Normann en vint améliorer les fortifications. Trois
ans après, les Égyptiens d’Ibrahim étant possesseurs de Modon, et ayant
successivement enlevé Sphactérie et le vieux Navarin, vinrent attaquer le
nouveau, ou ne se trouvaient pas plus de mille hommes de garnison,
commandés par Panajotaki Yatracos deMistra et George Mavromichalis,
fils de Petro-bei, Mainote. Il y eut de beaux faits d’armes du côté des
Grecs; cependant la discorde s’étant glissée entre leurs capitaines, qui, se
battant bien, mais étant mal payés, ne voulaient, comme il a été dit
précédemment, obéir à personne, Ibrahim, dès qu’il fut maître de Sphactérie,
d’où nous avons vu Mavrocordato s’échapper (p. 422), battit
vigoureusement la place, qui se trouva bientôt abandonnée a elle-même
par terre et par mer. Le 48 Mai elle capitula. La garnison, embarquée
sur des bâtimens anglais et autricliiens que le hasard avait conduits dans
le port, fut, sous la protection des Européens, transportée à Galamata,
et l’on peut juger du sort qu’elle eût éprouvé, si des étrangers ne fussent
intervenus, par la manière dont, au mépris des articles du traité, le
Pacha retint dans une dure prison les deux chefs, Yatracos et Mavromichalis,
qu’il s’était engagé à laisser sortir à la tête de leurs troupes.
Telle est l’histoire du nouveau Navarin ou Néokastron, dans les décombres
duquel les troupes françaises remplacèrent les Egyptiens, en vertu
d’une convention conclue vers les premiers jours,d’Oçtobre 1828. Sous
la protection de ces derniers, quelques familles indigènes, dont les
pénates n’existaient plus m sont venues se grouper dans les cavernes
du voisinage et dans Jes excavations du ravin qui descend au
débarcadaire. D’autres Grècs, particulièrement des insulaires, avee
quelques petits marchands de Trieste, ont élevé des baraques ou des
maisons en planches aux alentours. Les cafés surtout sy sont multipliés
avec des billards , dont on trouve toujours plusieurs dans les
moindres villages du littoral, pour peu qu’il y règne quelque sécurité,
les Moréotes ayant la passion du noble jeu. Le commandant de la place,
l’intendant général Yollandj à qui la Commission doit tant de reconnaissance,
et le payeur général M. Firino, logeaient dans la ville, au
pied de la citadelle. Les magasins militaires, l’artillerie et l’hôpital, la
douane grecque, avec un commissaire de police, occupaient le faubourg
du port, où l’on débarque à l’aide d’une sorte d’estacade en madriers et
en planches, qui se prolonge à quelques toises sur la mer.
Avant que de s’établir en ce lieu, les troupes françaises avaient dû
l’assainir à cause des cimetières turcs et grecs qui en infectaient presque
tout l’emplacement. Comme on y trouve à peine de la terre rouge et
légère entre des blocs de rochers nus pour recouvrir les cadavres, ceux-
ci, dont le nombre s’était fort multiplié depuis les dernières années par
tant de massacres et de misères, empuantissaient l’air : il fallut les
rechercher, les exhumer et brûler ceux qui n’étaient pas entièrement
consumés.
Outre les marchands grecs ou de Trieste, on trouvait aussi au port
quelques Marseillais, vendant des comestibles et se livrant à toute sorte
d’industrie; ce sont ces gens-là, bien plus encore que ceux du pays, qui,
dans tout le Levant, rivalisent avec d’indignes vieilles, pour procurer des
objets qui s’achètent , mais qu’on n’étale pas aussi ostensiblement que
d’autres marchandises dans les magasins, où certains amateurs les viennent
chercher. Entre ces Provençaux nomades, chez qui s’achetaient aussi
quelques sirops et liqueurs, j’eus occasion de voir un ménage remarquable
par la vie errante à laquelle le sort semblait l’avoir condamné : ce
couple assorti, poussé par la misère et accompagné par la patience, avait
presque fait l’équivalent du tour du monde. Le mari me raconta quêtant
parti de sa ferre natale, afin de chercher fortune au Brésil, il avait été,je
ne saurais me rappeler comment, porté à Caracas, en terre ferme. Dieu
aidant, ses affaires y avaient prostré. Sa femme, fille d’un aubergiste