que la limite moyenne, et marquée par des débris marins accumulés,
ainsi qu’on voit des tas de goémons sur les rivages de l’Océan, se dessécher
pendant la basse marée, en attendant que le flot les revienne
humecter quelques heures plus tard : mais ici le phénomène n’a aucune
espèce de régularité. Par ce mot de marée, le pilote voulait dire simplement
que les vents de sudf régnant depuis quelques jours, et causant
dans l’entonnoir formé par les côtes dé Sicile et de Calabre une
accumulation d’eau capable de renforcer de§ courans contraires, il
était prudent d’attendre, pour ne pas être obligé de lutter contre trop
d’obstacles entre Messine et Reggio, que le passage du soleil au méridien
amenât des risées qui nous pussent être favorables. On flotta donc
plus qu’on ne navigua durant toute la matinée, laissant au loin vers le
nord-nord-ouest ce volcan de Stromboli, sur lequel j’avais attaché mes
regards pendant Beux jours et deux nuits, en regrettant vivement de
n’y avoir pu descendre. Dans une ligne qui s’étendait au couchant se
distinguaient les autres îles de l’archipel de Lipari, semées comme des
rocîies grisâtre| sur une étendue d’azur, et diminuant graduellement
de hauteur en fuyant vers l’horizon ; les côtes de Calabre s’élevaient
fièrement du côté de l’est : le phare était au midi à petite distance ;
nous pûmes en^admirer -les alentours tout à notre aise. C’est alors que
nous vîmes se jouer autour de nous, et plus particulièrement sous le
gouvernail, un jpli poisson du genre Centronote ’, célèbre chez les navigateurs,
qui le'disent être un inséparable, compagnon du requin et
qui l’appellent pilote.
A l’instant de quitter la mer Tyrrhénienne, la Sicile se présentait à
nous majestueuse et riante, mais non encore autant que nous la devions
trouver dans la soirée; une plage sablonneuse s’étendait sous nos yeux,
se prolongeant vers la gauche, c’est-à-dire dans la direction du Levant,
en forme de .bec et tellement basse, que l’on distinguait par-dessus et
du pont de la frégate, sans avoir besoin de monter dans les hunes,
des navires qui voguaient de l’autre côté, ainsi qu’on voit souvent en
Hollande, par-dessus les digues etuomme à travers la campagne, des
». Voyez'Dictionnaire classique d’histoire naturelle à l’article Gastérosiée, t. VU, p. 155.
embàrcations sur un canal qui demeure invisible. Une tour, que sa
position à l’extrémité du bec rend beaucoup plus remarquable que sa
hauteur, est ce phare si célèbre par la beauté du panorama dont
il est le centre : carré d’un côté, arrondi de l’autre, on voit à sa base
un bâtiment surmonté d’une plate-forme. Ce phare n’a rien d’imposant,
et la construction même m’en parut être assez grossière; cependant
nul site au monde lie mériterait peut-être mieux qu’on y bâtît
un digne monument. Il est surprenant que chez les anciens, où l’on
choisissait avec un discernement exquis l’emplacement des temples, on
n’ait point songé à placer sur le cap où se trouve maintenant une
mesquine bâtisse, quelque grand temple consacré à Neptune, entouré
de son humide cour, temple qu’on eût aperçu de très-loin, s’élevant
au-dessus de deux mers, et dont les soubassemens au moins seraient
venus jusqu’à nos jours.
A droite de la tour, du côté de l’ouest, le terrain s’élevait^en collines
heureusement accidentées, couvertes d’une admirable culture
et parsemées de maisons blanches, la plupart très’-jolies.. On voyait
aux environs de plusieurs de ces habitations des plantations qu’entouraient?
des haies d’agavé, avec des bois d’oliviers, ombrageant un st)l
rougeâtre. Les champs se teignaient de la plus tendre verdure et reflétaient,
s’il est permis de s’exprimer ainsi, des idées printanières, auxquelles
des neiges répandues sur les hautes régions des monts Pélores,
mêlaient des pensées d’hiver. Ces monts Pélores, qui couronnaient le
paysage, sont, à ce qu’on prétend, de constitution granitique : cela
peut être ; mais leurs pentes inférieures sont évidemment calcaires. Les
cimes que nous avions en face s’élevaient à près de mille mètres et
présentaient quelque chose de la forme qu’a la Rhune, montagne des
Pyrénées occidentales, quand on l’aperçoit des hauteurs de Saint-
Jean-de-Luz.
Cependant nous nous trouvions doucement portés vers le golfe de
Sainte-Euphémie, sur la côte italienne; nous y fumes bientôt'tout vis-
à-vis d’un grand village construit comme à trois étages, sur une jfente
brusque, au pied de laquelle était une gorge qui sert de liàvre et qu’a
rendue célèbre une sanglante parodie du débarquement de Cannes. Le