étaient quelques pierres d’apparence hellénique. Un assez grand village
de Souli, ou l’on dit que sont des grottes taillées et des ruines, se voyait
de l’autre côté du vallon dans les montagnes; à peu de distance du kan,
dans le bois ou les Arbousiers avaient disparu, le torrent se fourche.
Nous laissâmes en ce lieu la route de Londari, et, prenant sur la gauche,
nous gravîmes à travers des pentes schisteuses durant huit à dix minutes :
le site était charmant; s’il eût appartenu au canton de Zarnate, que de
murs en terrasses y eussent protégé de riches cultures ? le Grès rouge,
par couches puissantes, succéda au Schiste, et bientôt nous cheminâmes
par un étroit sentier, creusé entre des murs naturels de roches calcaires
le plus singulièrement disposées qu’on puisse imaginer. L’origine du
ravin creusé en cirque, formé de nombreuses assises superposées et
couronnées d’un joli bois touffu, était a gauche sous nos pieds, quand,
sortant d’entre les pierres si bizarrement entassées, nous nous trouvâmes
tout à coup dans une agréable plaine herbeuse entourée de collines,
s’abaissant vers de légers vallons ombragés et arrosés par de petites fontaines
de frais sourcillemens, qui vont se perdre dans un des afïluens de
l’Alphée, appelé de Khorémi, où il fallut descendre, laissant à gauche
la montagne d’Isary, et à droite une source admirable, qui arrosait les
jardins d’un moulin à eau que sa masse avait autrefois fait tourner.
En ces lieux nous retrouvâmes les Schistes : la végétation était fraîche ;
des prairies naturelles, entrecoupées de bouquets d’arbres, et la Ghausse-
trape (n.° \ 200) avec le Panicaut des champs (Eryngium vulgare, L.)
croissant le long des routes, nous rappelaient les régions à pâturage de
l’Europe occidentale; je compris alors pourquoi les Arcadiens avaient
dû être de tout temps pasteurs; tandis que les Messéniens furent agriculteurs
et les Spartiates des guerriers continuellement incommodes à leurs
voisins. Nous passâmes vers midi l’Alphée, maintenant appelé Roufia, peu
après avoir laissé le village de Dédebey sur la droite; nous étions dans
un bassin qui fut aussi le fond d’un ancien lac, comme la plaine de
Sténikléros, et qui s’est vidé quand ses barrières septentrionales se sont
brisées sous Karithène ; c’est d’ici que nous commençâmes à distinguer
le rocher en pain de sucre que surmonte le vieux château de Coloco-
troni, et vers lequel nous nous dirigeâmes par la rive orientale du fleuve.
Nous rencontrions partout des troupeaux avec leurs bergers munis de
la mangoura et vêtus de tuniques qu’on retrouve exactement représentées
dans les bas-reliefs antiques ou des pâtres d’Arcadie furent sculptés.
Après avoir traversé l’embouchure de l’Hélisson des anciens, nos guides
nous firent passer deux fois encore, et je crois sans nécessite, le lit de
l’Alphée, où l’eau atteignait au-dessus du genou; ils voulaient nous
décider à camper sur ses rives herbeuses, ou nous trouvâmes quelques
masses de Lignite saillant au-dessus du gravier, ce qui pourrait bien
dénoter des couches inférieures plus considérables de la meme substance.
Laissant à gauche le grand village de Yromosella, le jour tombait quand
nous arrivâmes au pied des hauteurs de Karithene, ou nous campames
près d’une chapelle ruinée dont les soubassemens helléniques avaient
été soulevés et bizarrement encastrés dans les contours du vieux tronc,
divisé en trois, d’un énorme Chêne vert (pl. XXVI).
Karithène est moderne et l’époque de sa fondation nous est parfaitement
connue. On lit dans la Chronique de Morée1 qu’au partage d’Andra-
vida « messire Hugues de Brienne, qui avait vingt-deux fiefs de cheva-
« lier dans le pays des défilés de Scorta, reçut encore des privilèges
* et fit bâtir dans le pays un château appelé Cariténa, et que mes-
« sire Geoffroy de Villehardouin eut depuis un fils qui en fut seigneur
« et en prit le titre.* Celui-ci, qui avait épousé Hélène, fille de Guillaume
de La Roche, duc d’Athènes ouMégaskir, est très-célèbre dans
les chroniques du temps, et son histoire rapportée dans les Croisades
de M, Michaud8, est trop connue par cet excellent livre pour qu’il soit
nécessaire de la reproduire dans le nôtre. C’est lui dont la mort fut
considérée comme une calamité publique telle, que, selon l’expression
grecque d’un vieil auteur, « tous les hommes, grands et petits, le pleu-
« rèrent, et que jusqu’aux oiseaux, demeurant muets, s’attendrirent
« sur son sort. *
Colocotroni avait réparé les donjons féodaux du sire de Brienne en
les armant de quatre pièces de canon qu’il fit tirer en notre honneur, et
quand nous y montâmes avec lui, de roc en roc, la construction nous
en parut fort bien entendue; il était facile d’y reconnaître que le posi
. Traduction de Buchon, 1. H, p. 1.3.9. — 2. Tome III, p. 571.