plateau par une pente longue et assez rapide, la nuit nous surprit à
Pyrgo, et nous y dressâmes nos tentes. Ce village, habité par vingt*
huit familles, tire son nom d’une puissante tour dont nous cherchâmes
en vain les restes, et qu’on nous assura avoir été entièrement détruite
au commencement du siècle par un tremblement de terre. Les environs
étaient fort bien cultivés; les Mûriers, les Noyers, les Oliviers y abondaient,
et ce lieu ne paraissait guère avoir plus souffert de l’invasion
des Arabes que Ligoudista.
Le dimanche matin, au moment de lever le camp, nos gens remarquèrent
qu’il n’y avait plus de paysans dans les maisons oii, étant entré
pour en savoir la cause, j’appris d’une vieille femme, demeurée avec
quelques enfans en bas âge sous un hangar, que le reste de la population,
était partie avant le jour pour aller entendre la messe à Garga-
liano, ou se célébrait une fête au sujet de l’élection d’un député pour
l’assemblée nationale. Nous étant mis. en route vers l’ouest, nous vîmes
au hameau de Phloka l’origine de ce Brisoméro ou vallon de Mou-
zousta, dans lequel nous avions, trouvé pour la première fois des ombrages
et de la fraîcheur en Morée (p. T 65 ) : des dépressions circonscrites
formaient la surface du plateau oii nous cheminions; nous ne
tardâmes point à nous retrouver dans celle au nord de laquelle est situé
Gargaliano, et nous repassâmes contre ce qui restait de la chapelle de
Saint-Nicolas. 11 y Avait un grand concour s de gens ; averti de notre
venue par les habitans de Pyrgo, le petit tragode, qui avait égayé de
ses chants notre souper du 7, était accouru vers nous à quelque distance
du bourg; il tenait beaucoup à nous montrer un petit espace de terrain
qu’il avait ensemencé avec de la graine de coton, payée avec nos aumônes.
Il espérait, nous dit-il, «avec la bénédiction de la Panagie et
de S. Dimitri, en retirer bientôt une récolte qui décuplerait son avoir. |
Ce trait peint les paysans grecs de tout âge; sobres, économes et laborieux,
quand ils sont sûrs de ne pas travailler pour un primat ou un
Turc avide, ces braves gens, quoi qu’on en ait pu dire, se montrent
reconnaissans du moindre bien qu’on leur fait; avec une éducation
raisonnable et quelque sécurité ils deviendraient promptement les meilleurs
campagnards de l’univers.
Nous fûmes reçus par la multitude comme si nous eussions été des
compatriotes qu’on revoyait avec plaisir. Des ménétriers qui nous aperçurent
vinrent en gambadant racler gaîment leurs violons, en précédant
par.les rues les sapeurs, qui formaient notre tête de colonne. Ils ne
cessèrent de faire entendre leur exécrable musique pendant tout le temps
que dura notre halte. Les femmes de nos muletiers vinrent nous offrir
des fleurs, et le docteur Panaget alla visiter des malades, pour lesquels
on était venu me demander des secours et des médiçamens; nous voyant
recueillir des plantes, on imaginait que nous étions tous de grands
médecins, et que nous devions avoir des remèdes pour chaque mal. Ma
provision de quinine s’en ressentit notablement.
Lorsque nous nous remîmes en route pour Philiatra, les violons ne
cessèrent de nous précéder, et ne nous quittèrent qu’à l’endroit oii,
descendus sur la plaine inférieure, se trouvent une fontaine et un petit
pont mentionnés par Gell. C’est en sortant de Gargaliano dans cette
direction que le bourg se présente sous le plus charmant aspect, et
que sa colline .septentrionale avec la multitude de Cyprès pointus qui
la couvrent, embellit singulièrement le paysage. L’ancien pavé était
entièrement culbuté et le cbemin détestable. En certains endroits, où
le banc calcaire y était à nu, le pas des mules avait creusé des empreintes
très-prononcées et plusieurs traces, exactement de la forme du
sabot des bêtes de charge, ayant plusieurs pouces de profondeur; nos
animaux ne manquaient pas d’y emboîter, avec les plus grandes précautions,
leurs pieds, qui souvent y disparaissaient entièrement* au
point de nous donner de l’inquiétude sur la manière dont ils les en
pourraient retirer. La durée de plusieurs siècles a certainement été
nécessaire pour creuser ces marques qu’on pourrait appeler des monu-
mens de l’instinct et de l’habitude.
Nous laissâmes à gauche le chemin assez droit qui conduit à Pro-
dano à travers des Oliviers, et voyageâmes sur le plat pays à peu de
distance du mur de rochers dont le haut correspond au sol du plateau
de Kambos; Sa base est percée de grottes peu profondes, d’oii l’on retire
du salpêtre, ce qui mérita à l’une des moins mesquines, et dans laquelle
nous jetâmes un coup d’oeil, le nom de Baroutispilia (caverne de la