saignées que font les paysans dans les parties supérieures de la rivière
pour les arrosemens, en interceptent la totalité pendant près des deux
tiers de l’année. À quinze minutes de distance et arrivé dans un bois
épais, on traverse un autre vallon, où n’existe pas de pont, mais où il
y avait beaucoup d’eau qu’il fallut passer à gué, mouillé jusqu’au-dessus
du genou; pour en remonter la berge de gaucbe, la route est assez
profondément creusée, mais devient de plus en plus large et commode.
Sur la hauteur commence une forêt magnifique; il s’y trouvait sur la
droite une prairie des plus riante, dont la Botanique nous paraissait
devoir être fort riche : l’herbe étant fraîche et d’une extrême abondance,
nos muletiers nous demandèrent à y faire paître leurs animaux; séduit
par la beauté du lieu, j’y fis dresser les tentes.
A partir de cet endroit, la route ressemble à l’une des plus jolies
allées d’un parc bien tenu : unie, comme artificiellement sablée, elle n’est
embarrassée d’aucune pierre et sa pente est très-douce; sous les dômes de
verdure qu’y forment des Chênes de la plus fière venue, parfaitement
sains et assez espacés, croît un fin gazon que protège l’ombrage, et parmi
lequel ni buissons, ni ronces ne sauraient se propager, parce qu’il n’y
pénètre point assez de lumière. Quand on arrive dans la plaine où le bois
se continue, on aperçoit, par quelques éclaircies sur la gauche, les flancs
méridionaux des monts de Ripézi, dont nous avons parcouru le revers
opposé en nous rendant à Phigalie, et sur lesquels sont plusieurs villages;
le plus rapproché, composé d’une vingtaine de familles, se nommait
Agrilia. Au loin, sur la droite, «’élevait le sommet de Sekhy, qui atteint à
4591 mètres; sur ses longues pentes on distinguait Sarakadiana, de 54
feux, et Yaribopi, de 54. Toutes ces populations sont composées des enfans
de ces Albanais appelés Schipétars dans le Yoyage de Pouqueville, par
lesquels fut dévasté le Péloponnèse après la révolution d’Orloif en 4 770,
et qui s’établirent dans presque tous les villages du bassin de la Néda
ou des environs d’Arcadia, après en avoir chassé les anciens et légitimes
possesseurs moraïtes. Nous trouvâmes successivement deux ruisseaux qui
circulaient dans de vertes prairies qu’on nous dit être fort marécageuses
en hiver, et qui étaient encore assez humides; auprès du second était
une chapelle ruinée du moyen âge, construite sur de grosses pierres
appartenant probablement à quelque substruction antique. Nous étions
rendus sur le plateau qui sépare le bassin du Pamisus de celui du
Cyparissus, et qu’on peut considérer, entre les monts du Tétrage et du
système Gérénien, comme le couronnement d’une vaste dépression.
Nous marchâmes, alors durant plus d’üne heure sur des pentes insensibles,
apercevant dans les montagnes du nord, qui limitaient au loin
de belles plaines parfaitement unies, Soulima, chef-lieu du canton, où
l’on compte 435 familles1, et Ylaka, composé de 45. Ce nom de Ylaka
est évidemment d’éfymologie slave; les habitans de tous ces lieux passent
pour fort braves et pour avoir, ainsi que les Maniotes, su conserver
une sorte d’indépendance sous le gouvernement des Turcs.
Nous étions arrivés sans nous en apercevoir dans le bassin supérieur
du principal fleuve de Messénie, et conséquemment dans le versant du
golfe de Coron : le premier ruisseau de ce versant, que nous passâmes sur
un petit pont en pierres, appelé Bassouvlina9, venait de la gauche, et se
réunissait à peu de distance avec des ravins descendus des monts boisés
de droite, pour former l’origine du Mavrozoumèna que nous allons suivre
désormais, et dont les habitans d’Ætos (village des Aigles), du côté du
Sud, ainsi que ceux de Plavi, du côté du Nord, prétendent posséder la
source dans leur territoire. De jolis monticules arrondis, couverts de Poiriers
sauvages, sont épars au bord de la rivière, et comme jetés isolément
entre les confluens qu’y forment ses divers affluens ; ils dominent des
prairies verdoyantes qui s’étendent jusqu’à l’endroit où nous trouvâmes
les fondations de Kokla, l’un des kans les plus connus de la Morée, et
que signalent tous les itinéraires; il n’en restait guère qu’un monceau de
pierres sans liaison; tout le bois qui en fit partie avait été dès long-temps
brûlé par les passans. On voit à Kokla une de ces magnifiques, sources
que les Grecs appellent Kephalovritzi (têtes d’eau ou sources mères) :
celle-ci pourrait bien être cette fontaine d’Achéa qui coulait, selon Pausa-
nias, sur la route d’Andanie à Cyparisséis; le Mavrozoumèna me semble
être ce Balyra où Thamyris perdit sa lyre, après avoir perdu la vue, et
i . Et non 8 o , comme ile s t dit dans le Vojrage de la Grèce, t. VI, p. 19.
a. Soit que le ruisseau ait changé de place, soit qu’au temps des pluies il forme plusieurs bras,
il existait un second petit pont sans eau et à quelque distance sur la route, contre un bois taillis.