« champs." L’incomparable culture du pays, ainsi que l’air symétrique
de propreté et de richesse qui en résultait, m’avaient jeté dans une
admiration toujours croissante. Je fus bien autrement émerveillé eh
regardant avec attention celles qui venaient de nous parler d’une façon
à la fois si humble et si fière ; ce n’étâient certes pas des Européennes
ordinaires, et je connus alors que les écrivains qui, dans je ne sais quel
but, nièrent qu’il restât aucune trace du peuple formé par Lycurgue
dans les flancs du Taygète, n’ont jamais visité les endroits sur lesquels
pourtant ils font de la poésie et des romans, intitulés relations de
voyages, itinéraires, etc. Ce sont ces femmes de Zarnate qui, seules, de
leurs mains, sans relâche et pierre à pierre, ont élevé cette prodigieuse
multitude de degrés protecteurs, par qui le sol de leur patrie est annuellement
sauvé de la fureur des orages et de l’impétuosité des torrens :
elles ont entassé une masse de constructions, à laquelle toutes celles de
l’Egypte primitive, de Rome antique et de notre moderne Paris, ne
sauraient être comparables pour l’étendue et l’utilité ; ces constructions
modestes, mais immenses, n’ont à la vérité rien de monumental, et
l’architecte de profession, qui ne juge de la beauté des oeuvres humaines
qu’au moyen du tire-ligne, ne jettera qu’un regard de mépris Sur leur
monotone et confuse grandeur; mais l’observateur judicieux les doit
admirer à plus juste titre que les inutiles pyramides, que les fastueuses
et parasites colonnades, et surtout que tant de monumens ambitieux
qui, durant presque toujours plus que le souvenir des hommes et des
événemens en l’honneur desquels on les érige, finissent tôt ou tard par
demeurer muets pour les races futures.
Le premier endroit ou, tout saisi de surprise, je m’arrêtai pour m’accoutumer
à la vue de chefs-d’oeuvre auxquels tant de générations d’un seul
sexe ont mis silencieusement la main, fut au bord de la mer, dans le
fond d’une petite crique entourée de cultures en cirque , au-dessus desquelles
verdoyaient de petits bois d’Oliviers; à travers ceux-ci s’élevait ,
au milieu d’une enceinte en pierres sèches, une église, qu’on me dit être
sous l’invocation de la Panagie. Cet endroit s’appelait Paléokhori, comme
presque tous ceux oii les Grecs conservent la tradition qu’il exista quelque
ville autrefois; en effet, une grande quantité de morceaux de briques
et de fragmens de poterie jonchait les alentours. Une inscription
antique, ou je ne pus atteindre, se lisait au sommet de la porte en
ogive sur une plaque de Marbre blanc, encastrée dans le mur; des
dalles également de Marbre, confondues avec du Calcaire moréotique,
formaient les pavés, sur l’un desquels était grossièrement gravée l’aigle
impériale à deux têtes, que nous retrouverons désormais dans toutes
les églises. Un fragment d’autel des temps ou florissaient les arts, et la
moitié d’une urne superbe en panthélique, qui avait peut-être servi de
bénitier ou de fonds baptismaux dans le moyen âge, étaient renversés dans
l’intérieur de l’édifice, qu’on a bâti avec les débris d’édifices antérieurs.
Je me trouvais évidemment sur l’emplacement d’Abia, cette antique
Iré, «l’une des sept villes de la Messénie riveraine, que, suivant Ho-
g|mère, Agamemnon promettait à Achille. " Hyllus et les Doriens, ayant
été vaincus par les Achéens, Abia, nourrice d’Hyllus, se retira, dit-
on, à Iré, s’y établit, et y érigea un temple à Hercule, père d’Hyllus;
c’est pour cela que Cresphonte lui décerna depuis divers honneurs, et
donna son nom à la ville. Outre le temple d’Hercule, on y remarquait
alors celui d’Esculape *; quand j’en aurais eu le loisir, la hauteur des
céréales m’eût empêché de me livrer aux recherches nécessaires, pour
reconnaître quelles durent être l’étendue et la forme d’Abia, où je ne
crois point qu’il existât d’acropole ni de grandes murailles.
Peu après Paléokhori, le chemin se fourche: on peut suivre la riye
pour atteindre plus tôt Kitriès ou Chitriès; mais après quelques fours:
à briques, environnés par les plus grands Euphorbes arborescens
(n.° 618) que j’aie jamais vus , et vers l’extrémité d’une plage qui règne
au pied d’un redoutable escarpement, on trouve un pas fort dangereux;
ne voulant pas m’exposer inutilement à m’y laisser choir dans la mer
pour économiser deux ou trois cents pas, je suivis la route la plus
battue, où l’on reconnaît quelques restes d’un pavé vénitien et par laquelle,
ayant monté assez commodément, on se trouve sur les hauteurs
septentrionales de l’encaissement du Sandavapotamos, torrent furieux
durant la mauvaise saison, mais alors à sec. Ce Sandavapotamos vient
du Taygète, arrose d’abord une partie des plateaux de Zarnate, s’encaisse
i . Pausanias, lib. IV, cap. 3o; traà. de Clavier, t. II, p. 444.