« mîmes à nous fortifier aussi sur nos domaines, et depuis lors nous
vivons en défiance les uns des autres, mais iridépendans; chaque
village étant sous la protection d’un chef, qui n’y laisserait point impu-
« nément commettre le moindre dommage par ceux des villages voisins. "
On voit par ceci que le régime féodal existe au Magne dans toute sa
pureté ; que beaucoup de coutumes apportées par les conquérans français
du treizième siècle, s’y sont perpétuées; que l’indépendance du pays,
telle que la comprenait le narrateur, n’assura jamais la liberté individuelle
pour le peuple, et que les beys n’y étaient que des sortes de ducs
feudataires de la Porte, dont les capitaines étaient les barons ou hommes
liges. Nous ne pousserons pas plus loin la comparaison de Sparte au
dix-neuvième siècle, avec le reste de l’Europe du huitième au quinzième
; mais nous pensons qu’un séjour de trois semaines dans ce pays
en apprendra plus, sur le gouvernement du moyen âge, à l’observateur
attentif, que l’étude de tant de chroniques, recueils de chartes et livres,
écrits sur la matière, dont il devient à la mode d’encombrer nos bibliothèques.
Nous renverrons, pour ce qui nous resterait à dire sur un sujet
si intéressant, à la relation particulière que nous nous proposons de publier
'a,la suite de celle-ci, et dans laquelle les spécialités scientifiques, peu
intéressantes pour le plus grand nombre des lecteurs, n’absorberont point
des pages réservées pour faire mieux connaître les hommes et les lieux,
■ nous’ y renverrons également un plus" ample récit de la visite que nous
fîmes à ce capitaine de Zarnate, auquel ses grands airs turcs avaient fait
tant d’ennemis, selon l’expression de son beau-frère. Le pyrgo de ce redoutable
seigneur dominait sur tous les environs : il est l’un des plus forts
de la contrée, mais ne ressemble pas davantage que le site de l’ancienne
place qu’il dût protéger, aux vues qu’en donne Coronelli, dans sa Description
de la Morée. «Ce lieu, dit le cosmographe de Venise’, est une
« forteresse située sur une éminence très-agréable, sa figure est presque
« circulaire, et ¿est un poste où il semble que la nature n’ait rien oublié
« pour le rendre considérable. * Aujourd’hui la hauteur est horriblement
pelée; la ville a disparu, il n’en reste que la tour, jetée jusqu’ici presque
au hasard sur toutes les cartes. Prise par les Turcs quand, pour la pre-
j . Première partie, p. i l 3,
mière fois, ils envahirent le Péloponnèse; reprise par les Yénitiens en
1685; retombée au pouvoir des Musulmans, quand la République perdit
définitivement la domination du pays, et ceux-ci en ayant été chassés
peu après par les habitans soulevés, on ne trouve plus de la cité que des
décombres, avec les restes de plusieurs chapelles presque méconnaissables,
devant lesquelles cependant ne passe jamais un Grec sans fléchir le
genou. La population s’est portée vers le centre de la plaine, à Kambos,
bourg qu’habitent plus de 60 familles d’agriculteurs guerriers, et dont
les maisons étaient fort proprement blanchies; des femmes vinrent nous y
voir passer, en nous offrant, selon l’usage du pays, des fleurs qu’elles
cueillaient dans les pots dont se paraient les fenêtres et les toits. L’église
de Rambos est grande et assez jolie, avec un portail ceintré du genre
gothique, où sont autour quelques figures grossièrement sculptées, entre
lesquelles les habitans nous signalèrent celle d’un Chat, qu’ils prétendaient
être antique : ce qui l’était véritablement, consistait en chapiteaux
ioniques de la bonne époque, en tambours de colonnes de divers Marbres
et en plusieurs sculptures dont la plupart fort belles avaient été employées
dans la construction des murs d’une autre église voisine, à peu près
carrée. J’y découvris des mains et un pied de statue en Paros blanc de la
plus grande perfection, mais que je ne pus arracher; il y avait aussi des
plaques de Grès rouge où se reconnaissaient des guirlandes de pampres
du meilleur travail. De tels restes indiquent que c’est dans Zarnate et
dans Rambos qu’il faut reconnaître le chef-lieu de ce canton de Gérériie
dont il est question dans Pausanias1, et qu’Homère appelait Enopée.
Le baron de Stackelberg partage notre opinion à cet égard, puisqu’il
donne le nom de Gérénie à l’une des vues les plus ressemblantes de
son beau voyage pittoresque, où sont représentés les environs de Malta.
Machaon, fils d’Esculape, et son frère Podalyre, autre docteur en
médecine, guerrier et monarque des temps héroïques, y eurent leur
tombeau, et l’on y trouvait une statue de ce dernier qui rendait la
santé aux malades. Les limites de la Messénie et de la Laconie étaient
en cet endroit.
Malgré que son père eût fini si misérablement (voyez p. 360), le capi-
Lib- H!, cap. J»6.