Quelques membres de la section d’architecture, qui vinrent à diverses
reprises revoir les lieux ou M. de Robillard avait été notre premier guide
et que le mauvais temps avait surpris, vinrent, tour à tour, nous demander
l’hospitalité, et la pluie ayant continué à tamiser à travers la toile
de nos demeures durant près de trois jours, MM. Pector et Despréaux,
assurant qu’ils étaient malades, me demandèrent la permission de rentrer
au quartier général, ce à quoi je les autorisai avec empressement.
De nombreux fragmens de poterie antique bien reconnaissables, quoique
presque toujours réduits en très-petites parcelles, et de vieux morceaux
de briques, formaient la presque-totalité du sol sur le promontoire
ou la Commission se trouvait établie. Ces débris étaient recouverts
d’une herbe que la dent des troupeaux réduit en une sorte de pelouse,
où saillaient çà et là des touffes d’Asphodèle (Asphodelus, n.° 456 de
la Flore), d’une belle Malvacée (Malope malacoides, n.° 922), et de
cette Rose trémière ( Althoea rosea, n.° 906) qui devient si haute et
si belle dans nos parterres, où l’introduisirent les chevaliers croisés,
mais qu’on y néglige depuis que d’innombrables variétés de Dahlia y
sont devenues à la mode. On y voyait aussi poindre une jolie petite
espèce d’Ail (Allium Clusianum, n.°434), diverses sortes de Silènes,
une Dent-de-lion (Leontodon bulbosum, n.° 4089), des Ornithogales
d’une éblouissante blancheur depuis huit heures du matin jusqu’à deux
ou trois heures après midi, des Pâquerettes et autres plantes printanières.
Sur divers espaces dominait cette petite Oseille dont la fleur a été comparée,
à cause de sa forme, à la tête d’un boeuf par les botanistes (Rumex
Bucephalophorus, n.° 497), et qui colore souvent d’une teinte vineuse
fort vive les lieux où se pressent ses touffes rougeâtres.
Des restes fort distincts, quoique souvent interrompus, d’un mur
d’enceinte, bordaient la passe de Sikia à fleur de terre et se continuaient
à l’entoür du cap, depuis l’endroit où l’on entre dans la presqu’île jusqu’au
fond de la petite baie que nous avions au nord du camp. Cet
enfoncement, dont l’extrémité est remplie de sable, n’a probablement
jamais pu servir d’abri à des embarcations, à cause des récifs qui en
obstruent l’entrée; mais il n’exista pas moins de ce côté une porte dont
les soubassemens sont encore très-reconnaissables; ils sont désignés par
la lettre B dans notre plan. En y faisant creuser à droite et à gauche, j’y
retrouvai deux pièces latérales pavées en mosaïque grossière. Les fondations
d’une tour carrée (C) et d’autres indices de constructions cachées
sous l’herbe tout autour de nous, me démontrèrent que nous campions
sur l’emplacement d’une ville dès long-temps détruite. Nous y reconnaîtrons
bientôt la Coryphasium qui s’élevait sur le cap du même nom. Ce
qui m’a semblé le plus digne d’être annoté au pourtour de ce cap et de
cette ville de Coryphasium, lorsqu’une fois'j’en eus reconnu les traces
en scrutant les rochers de la rive, est une voie antique qui dut longer
extérieurement le mur d’enceinte, en suivant absolument le bord de la
mer. Cette voie fut taillée dans le vif de la pierre, où, dans plusieurs
endroits, elle a dû s’encaisser de deux à trois pieds. Les curieux qui
voudraient retrouver le peu qui en reste, doivent d’abord chercher à
la reconnaître à la hase extérieure du talus de la vieille batterie, en
dedans de laquelle je m’étais établi justement dans la ligne où cesse toute
végétation, faute de terre : après en avoir saisi les amorces en ce point,
il devient aisé de la suivre à droite et à gauche, quoique souvent interrompue
par des fissures, résultant de quelque fracassement qu’a dû
éprouver le sol postérieurement au creusement de la route, laquelle dut
être trop étroite pour que deux chars de ce temps-là y pussent passer
de front. On y reconnaît deux ornières où les roues se devaient emboîter,
sans qu’il soit néanmoins possible de juger si elles y furent taillées à
dessein comme les rainures des modernes chemins de fer, ou si elles y
ont été creusées par le frottement qu’occasionait à la longue l’action des
charois. On présumera, en les observant, que les équipages du doyen
des héros de l’Iliade ne devaient être guères supérieurs aux charrettes
à roues pleines, fixées sur un essieu mobile, qu’emploient de nos jours
les paysans montagnards de plusieurs cantons, notamment dans le
pays basque aux frontières d’Espagne.
On trouverait de grandes difficultés si l’on voulait faire le tour de
la montagne que couronne le Yieux-Navarin par le côté occidental,
surtout en arrivant au prolongement de la ligne que forme l’enceinte
à partir d’une plate-forme que j’ai signalée par la lettre M, et qui est
adossée à la tour carrée L, où se trouve la porte principale. On s’y