au mont Cérasius, qui fait partie du Lycée et qu’il passe assez près de
Phygalie (il eût été plus exact de dire aux pieds même de la cité); il
ajoute que les enfans de la ville y vont couper leurs cheveux en l’honneur
du fleuve qui, près de son embouchure, porte de petits navires et
peut se comparer au Méandre par la multiplicité des tours et détours
qu’il décrit. On verra par la suite que sous ce dernier rapport le cours
inférieur de la Néda est demeuré le même; mais la moindre barque n’y
saurait plus entrer, tant les rivages se sont ensahles et remplis de galets.
« Sur les côtes de la Triphylie, dit Strabon1, on -trouve les -fleuves
« Acidon et-Néda; aujourd’hui la Messénie est séparée'de cette province
« par le cours de ce dernier fleuve, qui est fort rapide et qui naît sui
« le Lycée, montagne de l’Arcadie, de la source dont la fable attribue
« l’apparition 'a Ifhéa, qui s’y purifia après qu’elle fut accouchée de
Jupiter, etc. * Ce n’est point la Néda qui naquit pour la toilette dé la
mère du maître des dieux, mais bien le Limax, dans l’origine duquel
nous nous désaltérerons tout-à-l’heure. Strabon se trompe ici comme sur
beaucoup d’antres beux, dont il parlait sans les connaître; quoi qu’il en
soit, rendus enfin au bord du Bourzi ou Néda, nous nous empressâmes
d’en examiner le bt autant que le permit l’âpreté de ses brisures dans les
bmites étroites que nous traçaient de chaque côté des rochers coupés à
pic, et suspendus au milieu de la plus riche verdure. Un peu au-dessus
il recevait, par une autre gorge étroite, un torrent écumeux venant du
Nord, et qui baigne là base du Cotylus, dont l’angle saillant méridional
s’élevait en contrefort non loin de nous, vis-à-vis un angle rentrant
des remparts de gauche. La route qui, rendue au pied de la pente horrible
dans un des ressauts de laquelle nous avions campé, traversait
un pré uni de peu d’étendue, est, en atteignant le fleuve, soutenue par
une muraille au-dessus des cassures à pic au fond desquelles on entendait
gronder celui-ci; un pont qui le traverse, entre des Aunes et de vieux
Lauriérs, est fort élevé, étroit, solide; mais sa construction ne porte
point le caractère de cette haute antiquité qu’il doit pourtant avoir.
A quelques pas au-dessous sont les restes d’un moulin, et un peu plus
bas l’étroite embrasure par laquelle s’échappait la Néda, se présente
j . Lib. VIII, cap. 3, S* 31.
dans toute sa singularité, c’est-à-dire flanquée de deux escarpemens
gigantesques, presque à pic, richement verdoyans et n’ayant peut-être
pas dix à douze mètres de large. Pour distinguer les premiers rayons
du soleil, qui vint bientôt dorer les limbes du précipice, il fallait nous
tenir penchés en arrière dans cette attitude fatigante qu’on prend pour
admirer les plafonds du Louvre. Gomme nous avions ainsi la colonne
vertébrale renversée en demi-cercle, nous aperçûmes presque au-dessus
de nous et bien haut à travers les branchages, des voyageurs, que nous
crûmes d’abord appartenir à la Commission scientifique; quand ils furent
descendus, nous reconnûmes M. Lenormand, jeune savant récemment
arrivé d’Egypte, et M. de Caraman, aide-de-camp du général en chef;
l’un et l’autre revenaient d’une excursion à Bassæ oii ils s’étaient rencontrés
: il faut, lorsqu’on est animé des mêmes goûts, s’être ainsi joints
sans se chercher sur une terre lointaine et célèbre, dont on vient explorer
les ruines solitaires, pour se faire une idée du plaisir que nous
eûmes tous à nous embrasser, quoique nous nous connussions peu. Les
nouveau venus avaient, en arrivant au bord du rempart opposé à celui
par lequel nous étions descendus, plongé leurs regards dans le fond
de l’abîme, où, ayant distingué des tentes, ils se doutèrent bien que
j’avais passé la nuit, et cette vue leur avait fait faire diligence; ils nous
joignirent comme nous allions déjeûner avant de lever le camp, et
voulurent bien partager un repas frugal dont lës Kavouris furent, avec
du gibier que j’avais tué la veille, les principales délicatesses. Je proposai
à nos hôtes de rebrousser chemin, et de se joindre à ma petite caravane
pour étudier ensemble la partie la plus intéressante des antiques confins
de l’Arcadie et de l’Elide triphylienne en se rabattant ensuite sur cette
Messène qui, depuis Eourmon, n’avait été visitée par personne qui en
eût publié quoi que ce soit. M. de Caraman, qui prenait d’intéréssantes
notes, et se faisait un album rempli de jolis dessins, eût été un compagnon
de route précieux pour nous aider de quelques élégans coups
de crayon; M. Lenormand, antiquaire habile'et versé dans les langues
anciennes, nous pouvait expliquer les inscriptions que devaient offrir
des fondations qui remontent sans doute aux temps héroïques. Le premier,
rappelé par son devoir près de M. le Maréchal, ne put céder à
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