mes sollicitations, et s’engagea avec son domestique et le palikar qui lui
servait d’escorte ainsi que de guide sur l’abominable pente par laquelle
nous étions descendus dans l’obscurité; le second voulut bien grossir la
troupe, dont il fit pendant une semaine le cbarme par son amabilité,
comme il en fut le flambeau par son érudition. Ÿers 7 heures du matin
nous étions en marche; la montée que nous prîmes était plus praticable
que celle qui lui est opposée, il y existait du moins une sorte de route,
et après moins d’une demi-heure, nous arrivâmes sur un plateau horne
au nord et au couchant par des rochers coupés à pic; le sol en était
fertile; des pans de murailles et des traces d’enclos avec des amas de
décombres recouverts de terre, tout indiquait que ce lieu avait ete autrefois
peuplé et qu’il y eut beaucoup de maisons et de jardins; c’était peut-
être l’emplacement de quelque bas quartier de cette Phigalie que nous
venions reconnaître; le chemin, après avoir traverse 1 emplacement de cet
antique faubourg, passe, à l’origine de deux faibles ravins, contre un
escarpement, d’oii tombent deux jolies petites cascades à la suite l’une de
l’autre, et dont la seconde,plus abondante, alimente des canaux d’arro-
sement qui se perdent dans les cultures inférieures du village de Pavlitza,
oh nous parvînmes par une dernière montée fort rude ; on y trouve ça et
là de grosses pierres taillées qui, pour être disjointes et dispersées, nen
indiquent pas moins qu’on s’élève à travers 1?épaisseur^dune antique
muraille et qu’il dût y avoir même une porte de ville en cet endroit.
Je ne trouve le nom de Pavlitza sur aucune des anciennes cartes qui
me sont connues , et celle de M. Barbier Dubocage ne marque pas
ce point important. Danville cependant, plus de quarante ans auparavant,
avait assez bien deviné la position de Phygalée ou Phigalie, qui
répond précisément à Pavlitzâ. Avant le restaurateur de la géographie,
on marquait à peu près dans les environs un village de Dario, et peut-
être ce nom de Dario était celui que portait Pavlitza avant les invasions
des Albanais, qui furent à plusieurs reprises le fléau de la Morée. Tout
l’espace contenu entre les pentes septentrionales des monts Géréniens,
depuis Arcadia et le Psikhro, jusqu’à Lala en Élide, fut plusieurs fois
dévasté et usurpé par des bandés composées de ces barbares que M. de
Pouqueville appelle des Schipétars, prenant ce nom pour celui d’une
nation; ce qui, soit dit en passant, n’est pas plus exact que si l’on donnait
les palikars pour un peuple belliqueux particulier; quoi qu’il en soit,
Pavlitza pourrait bien être la désignation albanaise qui remplaça celle de
Dario; ni l’une ni l’autre n’ont le moindre rapport avec le nom de Phigalie
ou Phygalée, qui dut être une ville considérable et puissante, si l’on en
juge par ce qui reste de ses murailles , mais dont il est peu question dans
l’histoire, où ne se trouve point mentionnée l’époque de sa totale destruction.
Ce nom de Phigalie vient, d’après d’antiques traditions, d’une
Dryade, et semble indiquer que, lorsque les hommes s’établirent en ces
lieux, ils s’y trouvèrent au milieu des forêts dans l’épaisseur desquelles
étaient censées se plaire ces sortes de divinités. Sa fondation remonte,
selon Pausanias, à Phigalus, l’un des enfans de Lycaon1; autocthone,
selon d’autres8, c’est-à-dire qu’elle se perd dans la nuit des temps. Un
Héradide, appelé Phialus, y ayant ensuite régné, lui imposa le nom de
Phialie; mais celui de Phigalie prévalut après la mort de Simus, fils de
Phialus, qui fut annoncée, dit le crédule descripteur de l’ancien Péloponnèse3,
par l’incendie de la statue en bois de Gérés Mélæné. Il devait
s’y pratiquer des mystères fort renommés dès les premiers temps historiques,
puisque Pausanias, roi de Sparte, tourmenté par ses remords,
alla, au rapport de Pausanias le géographe4, «jusqu’à Phygalée, en
« Arcadie, vers ceux qui évoquent les ames.” Thoryx, citoyen de cette
ville, avait épousé la soeur de l’illustre Aristomène.
La possession de Phigalie devait assurer la domination d’une bonne
portion de l’Arcadie, puisque les Lacédémoniens, projetant la conquête
de la province, vinrent s’emparer de cette forteresse vers la seconde
année de la XXX.e Olympiade. Les Phigaliens, chassés de leur pays,
allèrent consulter l’oracle de Delphes. La Pythonisse leur répondit : « que
« ce serait en vain qu’ils tenteraient de reprendre leur ville avec leurs
« propres forces; que, pour y parvenir, il fallait qu’ils se procurassent
« cent hommes d’élite d’Oresthasium ; que ces hommes perdraient tous
« la vie dans le combat; mais que les Phigaliens rentreraient dans leur
« patrie par leur secours.” C’était un singulier temps que celui ou de
i . Pausanias, lib. VIII, cap. 3. — 2. Ibid., cap. 3g. — 3. Ibid. , cap. 5. — 4* Lib. III,
cap. 17. — 5. Lib. IV, cap. 24.