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d’un illustre guerrier, qui dans les temps de gloir#daigna m’admettre
dans l’intimité de sa famille militaire. Après nous être fait une multitude
de questions mutuelles,, et nous être entretenus de Paris ët de l’Asie sur
des ruines grecques, il fallut nous séparer : je voulais arriver au quartier-
général avant la nuit, et quoique je n’en fusse guère à plus d’une lieue,
je jugeai à la manière dont je me détournais à chaque instant de la voie,
que trois heures au moins m’étaient indispensables pour y parvenir.
J’étais rentré dans le chemin qui longe la base des hauteurs de droite :
en examinant leurs pentes, Je me Convainquis qu’elles étaient le prolongement
du Saint-Nicolo; elles étaient de même nature, formées de
ce cate a ire dur, criblé d# trous, âpre a sa surface, que nous allons
désormais renconfÿer si fréquemment, et qui nous fatiguera par sa
blanchâtre monotonie. Dans le profil de leurs coupures, un peu au-
dessous de leur faîte, j’aperçus un quartier de roc qui de loin se dessinait
sur le bleu du ciel comme l’eût fait la tête d’une statue colossale.
A mesure qu’on avance, l’intervalle apparent qui existe entre ce bloc
et la montagne diminue, et quand on est arrivé vis-à-vis, on ne le
distingue plus des roches environnantes. J’ai plusieurs* fois marché avec
précaution, le® yeux attachés contre sa masse bizarre, m’appliquant à
le-reconnaître ; mais arrivé au point ou l’on ne voit plus le jour derrière,
il ne m’était plus possible de le distinguer : j ai gravi sur les
pentes de l’escarpement pour le retrouver, et y étant parvenu, j ai vu
qu’il ne tardera point à s’écrouler et %. rouler dans la plaine, ou 1 on
rencontre beaucoup de roches du ineme volume et qui furent évidemment
détachées des hauteurs, d’oii se doit détacher à son tour la pierre
suspendue qui a si souvent frappé mes regards quand? j’allais, par ce
côté du vallon, de Modon à Navarin;^ et de Navarin à Modon.
A peu près au point où la roche dont je viens de parler commence
à se confondre avec les roches voisines, la route s eleve sur un plateau
de peu de hauteur, où dut exister quelque population importante dans
le moyen âge. J’y ai trouvé sur la gauche, parmi les touffes de pim-
prenelle épineuse ( poterium spinosum ) , si commune dans tous les
lieux découverts, et sous les feuillages piquans de nombreuses cardua-
cées , le bassin d’une fontaine creusée dans le roc; on y voit aussi des
vestiges de citerne®, les indices d’enclos en pierres sèches, recouverts
d’hunius végétal; en un mot, des marques très-nombreuses du lqng
séjour de l’homme. Dans les flancs de la montagne, ou quelque ville dut
être adossée, on découvre aussi des tombeaux creuses dans leèroc;
j’en ai visité plusieurs par la suite : Boblaye ni’en a fait connaître un
dont l’entrée était cachée par des lentisques, et .qui consiste eri une
pièce carrée de sept à huit pieds ; les parois en avaient été soigneusement
polies, et des restes de peinture s’y distiguaient encore très-bien.
Ggs tombeaux ressemblent tellement à ceux qu’on retrouve à Egine,
qu’il est impossible de n’y pas reconnaître les mains d’un même peuple.
Us remonteraient donc à la plus haute antiquité. LeSidebris d’habitations
que je venais de trouver à la base des monts, sont moins anciens, si
l’on en juge par ceux d’une petite chapelle qui les domine et qu’on
aperçoit de tous les points de la plaine de Modon, parce qu’ils s’élèvent
au bord du plateau sur lequel la route nous a conduits. Nous nous
arrêtâmes complaisamment à examiner ce reste mesquin en briques et
en cailloux, qui ne mériterait pas la moindre attention s’il n’était isolée
On ne conserve-aucune tradition dans le pays sur ce misérable reste,
qui n’offre rien d’intéressant dans sa construction, m^is qui fut une
nouveauté pour nous, parce qu’il était la première vieille construction
qui frappa nos regards sur un sol où nous venionFinterroger des ruines.
Cette chapelle a été bâtie sur le plan de toq^ les âutres édifices, dont
le mauvais goût atteste les siècles du christianisme à son aurore; les
murs y sont bariolés intérieurement de peintures' où l’on ¿ r e c o n n a î t de
ces caricatures de Saints priant, ët appliqués, au mépris des règles de
toute perspective, sur des fonds unis bleus, jaunes ou rouges. MM. Ppirot
et Ravoisié ont pris une vuë très-exacte de la masure, en copiant ses
fresques grossières; on en trouvë^les détails aux planches X et XI du
travail de 4MM. les architectes de la Coihmission scientifique.
Peu après ces restes de temps plus ou moins reculés, nous passâmes
près des ruines modernes d’un camp d’Ibrahim : celles-ci bordaient
la route à droite ; les soldats de ce sanguinaire Egyptien y furent
logés dans de véritables maisons : on ne peut donner le nom de baraques
aux habitations qu’ils s’y étaient construites en moellons. J’ai vu