scs Grecs d’après les Parisiens de l’époque; la lecture de Barthélémy, dis-je, avait surtout
contribué, depuis un demi-siècle, à tout.défigurer. Le style, académiquement compassé, de
l’excellent abbé, séduisant d’abord tous les esprits, les mieux ornés furent précisément ceux qui
s’obstinèrent le plus à reconnaître, dans une contrée déchue, le caractère de grandeur et de
politesse dont elle resplendissait dans l’Anacharsis; ils prétendirent ennoblir jusqu’aux plus honteuses
misères de la Grèce moderne, dont l’antique pompe était à, leurs yeux seulement voilée
par des habits de deuil ; il fallut jusqu’à un style approprié à leurs hallucinations pour en écrire,
e t , dominés par une imagination effrénée, on en vit qui, galopant à travers des ruines, appelaient
par leur nom les héros des temps passés, en s’étonnant de ce que leurs ombres exilées
ne répondissent point; s’étendant alors en déclamations obligées sur la barbarie musulmane,
ils l’accusaient d’avoir effacé dans leur patrie jusqu’au souvenir de ceux qui la rendirent; chère
à nos jeunes ans. Cette barbarie turque ne fut cependant pas la principale cause du déplorable
état où se trouvaient des beux jadis si florissans; celle des premiers temps du christianisme,
où des croyances neuves venaient détrôner des dieux usés ; celle, du moyen âge avec ses croisades
sanguinaires, non moins que l’avarice d’une république de marchands, avaient, dès long-temps,
ouvert les cataractes de la désolation, et cause le déluge de maux dans lequel s’était comme
éteint le génie grec et noyé le berceau de la civilisation européenne.
Après les admirateurs opiniâtres sont venus les détracteurs obstinés. Egalement séduits d’abord
par le livre dont on a peut-être imprimé le plus d’éditions, et dont les peintures trompeuses étaient
devenues articles de foi dans les arts et sur nos théâtres, plusieurs de ces espèces de renégats
s’étaient, avant de quitter nos ports pour se rendre en Orient, abondamment fournis de gants glacés
et de romances nouvelles, dans l’espoir de ,figurer agréablement aux bals des Aspasies modernes,
ou de faire de la musique chez quelque nouvelle Sapho ; révoltés de ne plus trouver dans la ville de
Phidias, d’Apelles et d’Alcibiade,.ou dans l’Argos du roi des rois, un concours d’élégantes et d’artistes
avec de bonnes troupes tragiques qui jouassent les chefs-d’oeuvre de Sophocle ou d’Euripide,
jugeant des moeurs de la Hellade entière d’après la corruption que de notre Provence aux extrémités
de l’Adriatique le rebut de la population méditerranéenne vomit sur le littoral de ce. malheureux
pays, et surtout étonnés de ne pas retrouver dé monumens aussi grands que les nôtres au milieu
d’innombrables décombres, maudirent lesGrecs dégénérés, e t, les tenant pour des brigands sans
vertus, voulurent que tout dans leur pays fût indigne de sa renommée. Ils firent comme ces têtes
faibles que dans la jeunesse on remplit de superstitieuses croyances, et qui tombent dans la plus
déplorable incrédulité, lorsque l’examen vient, par hasard, soulever pour elles le plus petit coin du
voile de l’erreur. Cependant, si je n’ai point rencontré de Socrate, d’Aristide ou d’Epaminondas à
chaque pas daPs celte terre trop pompeusement célébrée ou si cruellement avilie par des plumes
incapables de garder la moindre mesure, je me suis convaincu qu’on ne rencontrerait pas, même
parmi les bandits du cap Ténare, de ces abominables scélérats tels que ceux pour qui la plus
cynique effronterie devient, à la honte de notre civilisation perverse, une cause d’intérêt et d’ad.
miration publique, quand d’épouvantables débats judiciaires leur transforment en pavois triomphal
le banc souillé des accusés.
Au milieu de tant de contradictions, qu’aucune nuance ne rapproche, persuadé que la vérité
n’était ni d’un côté ni de l’autre, j ’ai dû, avant tout, observer les habitans dont on parlait si
diversement, et dire en conscience ee que sont aujourd’hui les desccndans de ces héros dont
le renom demeure indestructible, et je le dirai franchement, afin de prouver que le généreux
Gouvernement qui les secourut ne prodigua point aveuglément la vie de ses soldats et les trésors
de ses sujets. Pour les mieux faire connaître, je raconterai jusqu’à des circonstances de notre
voyage que certaines personnes pourront taxer de puériles, et.j en eusse rapporté davantage,
si les deux tiers de la place mise à ma disposition pour les travaux de la première Section
n’eussent appàrtcnu à l’énumération des productions, naturelles, à l’examen de la constitution du
sol, à la statistique, à l’éclaircissement de quelques points d’histoire, enfin à d’arides-détails
de géographie et de géodésie, qui, pour ne pas intéresser tout le monde, n’en sont pas moins
destenatières importantes. Je consacrerai aux détails qu’il m’a fallu omettre ici , un autre ouvrage
que je vais publier sous le titre de Voyage de la Commission scientifique de Morée dans le
Péloponnèse y les Cyclàdes et l'Atüque: afin de mettre ce nouveau livre à la portée de toutes les
classes de lecteurs, on n’en fera point une entreprise de luxe, et, en élaguant de ses pages les
choses que-tout le monde ne voudrait pas se donner la peine de comprendre, j ’y raconterai
avec naïveté ce que j’ai vu et ce qui m’est arrivé, quand ce qui m’est arrivé et çe que j ’ai vu aura
rapport aux hommes et aux lieux, dont les engagemens que je pris avec celui de qui la mémoire
m’est toujours chère, me commandent de parler. Le lecteur, avec une nouvelle carte sous les yeux,
m’y pourra suivre pas à pas; car il ne sera pas cité, dans mes deux volumes, une source, un
ruisseau, une ruine, une pierre même, quand, ces choses présenteront quelque particularité
digne de remarque, que chacune ne soit indiquée dans une représentation topographique destinée
à guider, par les mêmes chemins, ceux qui m’y voudrontaccompagner.‘-G’est là carte sous les
yeux qu’une relation fidèle doit se lire. Il ne reste que, peu de chose dans la mémoire de celles
qu’on croit pouvoir parcourir sans un tel secours. -
L’ardeur avec laquelle les moindres places dans la Commission furent sollicitées, ne pouvait
permettre de suspecter le zèle et la capacité d’aucune dps personnes qu’on y admit, et la durée
d’un an, qui fut assignée à nos explorations, paraissait y devoir suffire.-^Cependant quelques
choix furent malheureux, et les fièvres qui règngnt-dans certaines parties-du pays, ayant sévi
sur ceux de mes collaborateurs qui demeuraient'fidèles à leurs devoirs., les résultats obtenus,
dans le cours'dc nôtre voyage , n’ont pu être aussi-complète qu^ils l’eussent certainement été si
toutes les santés fussent demeurées aussi bonnes que. la mienne, et si chacun eût été animé du
même esprit que MM. Brullé, Delaunay, Virlet, Baccuet,.Boblaye, Peytier et S eme r, qui la
plupart m’ont en outre assisté dans la composition dû présent ouvrage. Je m’empresse.dc faire cette
déclaration , pour répondre "d’avance aü genre de reproches qu’on manque rarement d’adresser
à ceux dont on veut méconnaître les services,' et qu’on n’épargna pas même à cette immortelle
publication de la Commission d’Egypte, où, dans un esprit d’ingratitude,"conséquence naturelle
de la versatilité du pouvoir, on a signalé dès lacunes et des disproportions; qui cependant, par
la nature des choses, ne pouvaient point n’y pas être. Je sais d’ailleurs qu’on a trouvé surprenant
qu’avec son nombreux personnel, la Commission scientifique de Morée h’eùt pas-rapporté de
collections aussi nombreuses en nouveautés que le s circumnavigatéurs et les voyageurs qui,
durant cinq ou six ans, ont parcouru l’intérieur de vastès continens non encore visités. Je
répondrai naïvement à de tels reproches que la région que nous étudiâmes, n’étant pas tout-à-
fait aussi grande que l’Amériqùê du Sud, la «Nouvelle ^Hollande, la Polynésie ou toutes les lies
de l’océan Pacifique prises ensemble, ne saurait contenir autant' d’ôbjets rares, le nombre des
productions d’un lieu étant d’ordinaire proportionnèl à sa surface; ¿’¡ajouterai que les maladies
ont réduit la durée réelle de nos travaux à gix mois tout au plus;»enfin q u e lle s Belon, les
Toumefort, les Sibthorp, les Olivier,les d’Urville, outre une multitude d’autres naturalistes,
d’antiquaires, d’hydrographes, d’écrivains et d’arlistes habiles, ayant précédemment visité la même
contrée toute foulée par les pas des savans, il pétait nécessaire d’y employer plus d’intelligence
et d’activité que partout ailleurs, pour parvenir à en rapporter au - delà de Mrois mille, espèces,
dont un grand nombre nouvelles, appartenant aux deux règnes organiques, un nombre prodigieux
de faits géologiques, tant de circonstances,, négligées jusqu’alors, sur l’état physique du pays,