colonne et des entablemens, pour les employer comme chambranles de
portes ou de fenêtres. Il n’y existe pas plus de traces romaines ou byzantines
: le peu de débris qu’on y voit', datent, à ce qu’il paraît, de la
dernière occupation par les Yéni tiens; ce sont quelques écussons d’armoiries
, encastrés dans certains murs, ou tout au plus des mots à demi
effacés, griffonnés sur un portail, où l’on dit qu’ils indiquaient l’entrée
d’un pauvre hôpital. La ville est construite 8ur une pente assez rapide,
exposée au Couchant et un peu plus longue que large. U ne règne point
de fossés autour de ses murailles, celles-ci s’élèvent sur des roches tellement
dures, qu’il eût été difficile d’en creuser, et qu’il serait impossible
d’y ouvrir des tranchées pour l’attaque. C’est principalement avec la
grosse artillerie des flottes qu’on en pourrait détruire les ouvrages.
Quant à la citadelle qui domine la ville à l’est, et qui prend tous ces
ouvrages à revers, le génie français l’a totalement changée et reconstruite
à deux reprises, à cause d’une explosion qui détruisit ses premiers
travaux. Parmi les décombres de Navarin encaissés entre ses remparts
demeurés seuls debout, on pouvait reconnaître que les rues y furent
tortueuses, mal percées, étroites et souvent disposées en escalier, particulièrement
vers l’orient, aux alentours de la citadelle : on y reconnaissait
aussi les emplacemens de quelques jardins, que couvraient des
mauves, l’ortie pilülifère, le souci commun, des chardons et des amas
d’ordures. Dans l’un de ces enclos abandonnés aux herbes sauvages,
je trouvai-quelques beaux pieds de l’aloès tacheté ( aloë picta, L.),
qu’on y avait évidemment plantés du temps des Turcs. Il serait donc
superflu de chercher avec quelques-uns l’Abramus de Ptolomée dans
une ville du moyen âge, que ses fondateurs appelèrent d’abord Neo-
kastron, par opposition avec le nom de Paléokastron ou le vieux
château, qui devint celui de Pylos, dont Abramus, Abarinus, Ivérin
et autres désignations, dérivées les unes des autres par corruption, ne
sont que des synonymes.
Pylos ou le vieux Navarin fut la seule ville réellement importante de
toute cette côte jusqu’au quatorzième ou au quinzième siècle. Il est probable
que Néokastron ou le nouveau Navarin l’absorba seulement après
la conquête de Morosini, et quand la petite passe du nord entre Sphactérie
et Coryphasium se trouva insuffisante pour les grands navires devenus
d’un usage plus général : il pourrait se faire même que le détroit en ait
été dégradé par les hommes. Le passage de M. le baron de Beauvedu,
que nous avons cité plus haut (p. 51), semble l’indiquer. Quoiqu'il en
soit, les Turcs étaient redevenus maîtres paisibles de tous ces lieux
après la conquête de 4745, lorsqu’en 1770, au mois d’Avril, le nègre
Ânnibal,général russe, détaché du siège de Coron, fut chargé de s’emparer
de Navarin, «la garnison, dit Rhulièré, capitula aux premiers
« coups de canon, et fut conduite sur un bâtiment anglais daûis un port
« de Candie, i On a vu (p. 425) comment les troupes d’Orloff abandonnèrent
leur prise peu de jours après, ayant contemplé du haut de
ses remparts l’un des massacres auxquels Sphactérie doit sa sanglante
célébrité. Alexis, avant de s’éloigner, fit charger toutes les mines, et
donna ordre en s’embarquant qu’on allumât les mèches, afin qu’après
son départ la forteresse ensevelît sous ses décombres les Turcs qui s’y
seraient précipités; mais les mines ne partirent point, et ceux qu’on
eroyait y prendre, ayant trouvé en batterie plusieurs canons que les
Busses, dans leur évacuation précipitée, n’avaient pas même endoués,
tirèrent sur les fugitifs, lesquels eurent la honte de se voir tuer des
hommes par leurs propres boulets. 1
Quand M. Pouqueville visita le pays \ la citadelle de Navarin ne
consistait « qu’en quatre bastions délabrés, garnis de canons sans affûts;
« ce qui n’empêchait pas qu’elle ne fût comptée au nombre des places
« de guerre, ayant ses janissaires, ses canonniers, ses bombardiers, qui
« avaient pour général et commandant d’armes, un boulanger et un
« barbier, tenant four et boutique au bazar. 9 | La ville contenait six
cents habitans turcs, et le faubourg ou Yarochi, alors situé sur la hau-
1. Anarchie de Pologne, t. III, p. 4i 4- Ce passage, et en général tout ce qui concerne la
révolution de 1770 chez Rhulière, se trouve textuellement transcrit, sans que le lecteur soit averti
du plagiat, dans l'introduction historique ajoutée par feu A. Rabbe aux Mémoires sur la Grèce
de M. Reybaud. Cette introduction ne contient peut-être pas vingt lignes de suite qui soient
propres au compilateur sous le nom duquel elle a paru. Ceux qui la pourraient citer commç
autorité, donneraient conséquemment la preuve qu'ils ne remontent pas aux sources et que
leurs recherches sont au moins superficielles.^
2. Voyage de la Grèce, t. YI, p. 71.