sur le faîte des escarpemens, les précipita dans les flots de sa propre
main; le sentier que nous trouvâmes ensuite, passe près d’une grotte
dont l’étendue s’est, dit-on, très-augmentée par affaissement dans l’un des
derniers tremblemens de terre; profonde de trente à quarante pieds,
semi-circulaire, quasi-encombrée par des blocs de rochers éboulés, de
l’eau très-pure y forme un petit lac vers le fond, où l’on entend dans le
silence à travers le jour douteux, qui seul y pénètre, tomber mélodieusement
de grosses gouttes d’infiltration. L’Adianthe (n. 1341) y venait
fort grande ; un vieux Micocoulier (n.° 3459), qu’enlaçait entièrement une
.Vigne sauvage énorme, en ombrageait l’entrée, dont il faillit à nous
dérober la vue. Parvenus dans la plaine, après avoir longé les murs d une
assez grande maison ruinée, et marché environ une demi-heure, nous
campâmes sous des Oliviers, qui s’étendent jusqu’au rivage lë long d un
torrent considérable, alors entièrement à sec; la culture n étant plus en
ces lieux tout-à-fait aussi soignée que dans le canton <je Zarnate, nos herborisations
y redevinrent fructueuses : la conque et les monts d’alentour
reconnaissaient la domination de Dionissos Mourdzinos, chef de la puissante
et antique famille des Troupianos, qui de temps immémorial fut
rivale de celle des Mâvromichalis ; ces deux maisons avaient employé
depuis plusieurs siècles tous les moyens possibles de se faire du mal , elles
n’avaient pu parvenir t se détruire. La guerre sourde ou déclarée, les
assassinats, les traités d’amitié, les mariages et le poison même, servirent
tour à tour leur politique, laquelle tendit sans cesse à faire entrer dans
leurs querelles,les capitaines voisins, qui tantôt étaient les auxiliaires,
tantôt les ennemis de l’une ou de l’autre: l’histoire de leurs longsdifféreras,
que nous entendîmes avec le plus grand intérêt de la bouche même de
Mourdzinos, ressemble d’une manière frappante à cette portion des annales
de l’Italie sous l’inspiration de laquelle écrivit le grand Machiavel.
Je n’en négligerai pas les principaux traits dans mon prochain ouvrage,
Où je m’étendrai sur les détails de notre séjour à Scardamula, parce que
j’y suis parvenu à bien connaître les Maniotes. L’eparque d Androuvista,
respecté, et non moins aimé que craint, ne se tenait pas soigneusement
renfermé dansson aire comme Atanasouli; il descendit au contraire ¿ers le
camp afin de nous engager à partager sa demeure tant que nous voudrions
rester sur ses terres, et Baccuet vint m’avertir dans la matinée du 27,
qu’on le voyait arriver par le lit pierreux du torrent qui séparait le bois
d’Oliviers où nous campions, de l’escarpement couronné par sa tour;
je me hâtai d’aller au-devant de lui. Il avait, pour me donner une idée de
son influence dans tout le pays, engagé les capitaines de Zygos, de Laghia,
de Castania et de Milia, à l’accompagner, et c’est avec ces chefs, qu’il avait
dès long-temps détachés de l’alliance de Pétro-bey, que je passai quelques
jours chez lui. Tous mirent une extrême complaisance à satisfaire aux
questions dont je les fis accabler par mon interprète ; et dans les joies du
premier festin, où nous nous accroupîmes ensemble, Mourdzinos, avec
sa pompeuse parole, se plaisait à dire : « Il ne manque ici que Dzanetaki
« de Marathonisi, avec lequel je suis ainsi que le doigt et l’ongle, et dont
« la jeune fille, que Pétro-bey eût bien voulu obtenir pour son fils, est
« aujourd’hui promise à l’héritier de mon nom. Lorsque ces jeunes gens
« seront en âge de s’unir, Tzimova, de qui Dzanetaki a séparé les Kako-
« vouniôtes, sera réduit à ses seules forces; et Sparte n’aura plus d’homme
«insolent qui, pour lui avoir été imposé jadis par les Turcs, y prétende
« parler en roi et opprimer ses égaux. Il ne saurait y avoir de rois ici,
« et nous n’en souffrirons jamais le joug, de quelque part qu’on le veuille
« établir.” Celui qui s’exprimait ainsi était un Hercule, d’une cinquantaine
d’années, beau, fier, éloquent, et couvert d’arquebusades, dont on
distinguait plusieurs sur sés bras musclés et velus, lorsqu’en gesticulant
il rejetait sur ses épaules les larges manches ouvertes de sa chemise - son
costume était rigoureusement national; il affectait à toutpropos de dire :
« Je ne suis qu’un Spartiate ignorant; ” mais il savaitplus qu’ü ne voulait
paraître en savoir; il produisit sur moi l’effet d’un héros de Plutarque et
je me sentis irrésistiblement porté vers lui. Je ne sais comment mes facdns
modernes et occidentales lui purent convenir, mais nous fûmes en peu
d’instans, et malgré sa gravité singulière, à peu près comme il se disait être
avec Dzanetaki : il était grand partisan de M. Capo d’Istria, « parce que,
« disait-il, je suis bien sûr que le comte n’a pas le coeur anglais; faites-moi
«. le jilaisir de lui dire, si vous le voyez avant moi, que nous n’avons ni
■'« or ni argent pour fournir aux contributions, que d’ailleurs, nous avons
-« payé d’avance avec notre sang toutes celles qu’on prétendrait exiger,
B 47