point le pavé devenait moins mauvais, et nous en parcourûmes bientôt
une partie de plus d’un quart de lieue de longueur, qu’on eût Cru
être construit de la veille; il ne tarda point a se défoncer de nouveau à
la descente dans un bassin qui paraissait être fermé de toutes parts et
dont le fond était parfaitement horizontal. La terre, dans ce bassin, est
très-propre à la culture du blé, mais elle demeurait inculte; il n’y
croissait point de buissons, et la sécheresse se faisait déjà violemment
ressentir à sa surface; aucun coins d’eau ne sillonnait cet espace dé formé
à peu près quadrilatère, long d’environ quinze cents mètres du nord
au sud, et de moitié à peu près plus étroit. La route le traverse dia-
gonalement; rendu vers le milieu, le voyageur y croirait être dans un
enclos ceint de hautes murailles, lesquelles, dans plusieurs portions de
son pourtour, surtout du côté de l’est, présentent d’épaisses et régulières
assises calcaires, semblables à de grandes constructions helléniques;
tandis que vis-à-vis on dirait des constructions cyclopéennes, à la manière
dont d’informes blocs s’y trouvent entassés. Les ruines d’une misérable
petite chapelle sont au centre du bassin et nous restèrent à droite;
de cet endroit j’aperçus sur la gauche une ruine qui, s’élevant à travers
des massifs de verdure, se dessinait contre l’escarpement voisin comme
une colonne isolée, carrée et d’une légèreté singulière. Je me hâtai de
reconnaître à quelle sorte de monument un tel débris pouvait appartenir;
je trouvai parmi de grands arbustes les restes d’une église que ceux-ci
m’avaient cachés, et qui consistaient en un amas conique de décombres
entremêlés de quelques dalles en pierres culbutées. Le clocher, qui pouvait
avoir un peu moins d’une quarantaine de pieds de hauteur, était
demeuré seul debout; c’est lui que j’avais aperçu; sa partie supérieure
était formée de grands piliers, s’élevant l’un vis-à-vis l’autre et laissant
entre eux un espace égal à leur épaisseur, qu’unissait par le haut une
petite toiture anguleuse; on voyait le jour entre ces dëux montans;
d’autres fois ils se confondaient en un seul, selon l’endroit d’oii on les
apercevait. Les cloches en avaient sans doute disparu depuis la domination
turque, sous laquelle l’usage des sonneries fut interdit aux pauvres
Grecs. Quelques pâtres que je trouvai dans les environs ne surent me
donner aucun renseignement sur notre découverte; et nous n’avons
depuis, soit à Modon, soit à Navarin, rien pu apprendre qui la concernât;
peu d’habitans du pays connaissent même ce reste, dont j’ai
pris la vue pour la faire servir de vignette au présent chapitre. Tout
auprès de la vieille église, et non loin d’assez beaux arbres qui ombragent
là base du rempart naturel, je trouvai de grands puisards à sec,
katavotrons imparfaits, par où l’eau des pluies s’engouffre en hiver, et
qui restent, dans la saison sèche, obstrués de boue comme le trou de
Soussy, dans le Calvados (p. 7). De gros Sureaux prêts à fleurir, avec des
amas de Ronces robustes, en voilaient les bords et cachaient leur concavité.
Sur la pente d’une butte arrondie assez proche étaient les débris
d’un hameau; il y restait encore deux puits en bon état, mais dont l’eau
était trouble et jaunâtre. Un peu vers l’ouest, étaient les ruines d’un
village plus considérable, situé contré les pentes de l’enceinte vers l’angle
du sud-ouest,*Su point oii s’ouvre le défilé étroit par lequel passe le
chemin; on nous nomma ces deux endroits Kinigou et Péra-Kinigou.
Ils semblaient avoir été détruits antérieurement à la dernière guerre;
la sécheresse des environs en aura probablement commandé l’abandon
aussitôt que le pays commença à tomber dans cet état de décadence où
les beaux sites eux-mêmes perdaient leurs habitans ; mais ce qui restait
des maisons bouleversées indiquait qu’elles avaient été plus solidement
bâties que ne le sont aujourd’hui les demeures précaires des Grecs. Les
malheureux sujets des Ottomans, continuellement exposés à voir leurs
propriétés dévastées, n’y vivant, s’il est permis de s’exprimer ainsi,
qu’au jour le jour, ne se donnent guère la peine de construire de ces
habitations que leur solidité rendrait des objets de convoitise pour leurs
oppresseurs. C’est probablement au temps des Yénitiens, où la Morée
compta quatre fois autant d’habitans qu’il n’en restait au commencement
de ce siècle, que remonte l’existence des villages de Kinigou, et à
l’époque de leur retraite, qu’il en faut rapporter la destruction. Quoi
qu’il en soit, laissant sur la droite les ruines silencieuses du village,
nous sortîmes de son bassin par un défilé étroit, où le sol était de
plain-pied, et auquel ses parois presqu’à pic, surtout à gauche, donnaient
l’aspect d’une longue rue, sans portes ni fenêtres, ou plutôt de
ces chemins flanqués de murailles éblouissantes qui, dans les environs