bien et à bon marché dans ce même pays où nous étions obligés de
porter arec nous jusqu’aux objets de première nécessité.
C’est ici que nous mangeâmes pour la première fois des Kavouris,
que nos gens avaient le matin pris eux-mêmes au passage de la rivière;
nous en avions déjà vu quelques - uns dans le Roumano et dans le
fluviole de Mouzousta, nous en reverrons dans toutes les eaux courantes
du Péloponnèse où le Kavoùri représente l’Ecrevisse de notre Europe
occidentale; mais ils appartiennent à une tout autre famille de Crustacés;
ce sont des Crabes ou Cancres d’eau douce, très-semblables
pour leur figure et leur taille à ceux que de nos ports de mer on envoie
sur nos marchés, et que les zoologistes, qui les appelaient premièrement
Potainophiles, rapportent maintenant au genre Thelphuse: les
plus grandes vertus médicinales leur furent attribuées dans l’antiquité
par Dioscoride, Pline, Nicandre et Galien qui en ordonnait la poudre
contre la rage. * Æschiron, homme fort expérimenté, dit Rondelet’, les
« faisait brûler vifs dans un plat d’airain jusqu’à ce qu’ils fussent réduits
« en cendre. | De telles pratiques, énumérées dans le vieil ichthyologiste
de Montpellier, sont totalement abandonnées, et la figure qu’il donne
de son Cancre de rivières ne vaut pas mieux que ce qu’il en dit. H
l’avait pourtant fait portraire d’après nature en Italie, où cet animal,
réputé exquis et aphrodisiaque, était recherché, dans les quatorzième
et quinzième siècles , pour la tahle du pape et des cardinaux. Les
paysans de Morée en sont très-friands; ils les mangent bouillis, cuits
dans les cendres chaudes ou même crus, et disent qu’alors ils sont d’un
meilleur goût, ce que nous n’avons pas vérifié; mais préparés à la
manière des Écrevisses, nous les avons trouvés très-bons, et j’ordonnai
qu’on nous en servit partout où l’on s’en pourrait procurer. Les Kavouris
se cachent parmi les pierres, dans la terre et sous le sable du
fond des ruisseaux, au bord desquels, lorsque rien ne les vient effrayer,
on les voit s’ébattre et sortir de l’eau à la manière des Tourlouroux.
La Sicile, l’Italie méridionale, Candie, la Syrie et le Nil en produisent
aussi; le grand ouvrage de la Commission d’Egypte en a donné les
meilleures figures, où manquent malheureusement les coiüeurs, qui
a. Hist. des poissons, 2.® partie, chap. XXXI, pag. i 53..
sont verdâtres, variées de brun en dessus, blanchâtres en dessous et
passant au rouge par la cuisson. Olivier l’a médiocrement représenté
dans son Voyage de l’empire ottoman1, et dans les planches du bel
atlas du Dictionnaire des sciences naturelles (édition Levrault) on lui
a donné une teinte orangée jaunâtre, qu’il ne présente en aucune
circonstance.
Une voûte, saillant-cn maçonnerie de quelques pieds au-dessus du sol
comme un cylindre, avec un regard à la clef, recouvre la prise d’eau*
une enceinte polygone des plus mesquines règne autour de cette pauvre
bâtisse: aucune dalle portant la moindre inscription, n’y dit quels en
furent les constructeurs. On en trouve la vue au trait dans le travail de
MM, les architectes (pl. 2, fig. 2); une crevasse latérale et quelques suin-
temens alimentaient tout auprès un petit marécage, dans lequel une
espèce de Véronique (Veronica Anagallis, n.° 44), qui n’est qu’une
plante médiocre dans les fossés de la France, atteignait à plus de deux
pieds de hauteur, et se montrait gigantesque dans toutes ses parties.
Comme nous allions nous remettre en marche, passèrent, avec leur
suite, deux évêques qui se rendaient à Modon, oii l’on devait, le
dimanche suivant, métamorphoser en grande cérémonie une mosquée
en église, sacrer un prélat et recevoir M. le président, qui, faisant une
tournée dans la péninsulè, avait fait annoncer sa visite au général en
chef. Nous reçûmes leur bénédiction et conçûmes une haute idée de leur
évangélique humilité,, Jamais prêtres chrétiens ne semblaient s’être
plus réellement voilés à cet état de pauvreté que recommande la sainte
Eglise à ses ministres, et dans lequel vécurent les apôtres. Chaque éminence,,
couverte d’une large robe noire assez délabrée, était montée sur
sa mule, autour de laquelle marchaient les caloyers de sa suite avec
deux ou trois domestiques armés, mais mal vêtus; une sorte de guide,
qui précédait la troupe, portait le seul paquet dont paraissait se composer
tout son bagage.
La misère du clergé de Morée était alors incroyable et véritablement
digne de pitié. Les fidèles, entièrement ruinés par la guerre d’extermination
, à laquelle la France venait de mettre fin, n’ayant plus le moindre
1. Pl. 3<>) fig. 2.