un charme majestueux, qui rappelle les grandes déités du paganisme!
Parmi elles, cependant, je n’ai plus retrouvé de ces Hébé, de ces
Eucharis, de ces Eglé, de ces Grâces en, un mot, qu’on nous montre
plus jolies que belles, et plus sveltes qu’imposantes : ce type de gentillesse
ingénue semble s’être effacé : cest celui des Junons, des Pallas ou
desThétis, qui persévéra; le modèle calqué sur la mère d’amour, sortant
des flots émus, et qui fut intermédiaire, existe encore; mais il est
fort rare. De sorte, qu’en style de coulisses qui, dans cette circonstance,
peut rendre seul le résultat de nos observations, on peut dire qu’au
Magne toutes les femmes ont le physique de reines et grandes princesses;
quelques-unes celui de jeunes premières, mais qu’on n’y saurait
plus trouver d’ingénuités. Quant aux coquettes, je doute que jamais
on y ait su ce que ce pouvait être et il n’existe pas un mot dans le
langage maniote pour l’exprimer.
La grande église où nous entrâmes était massive, mais décente; on
en réparait les peintures, qu’avait noircies la fumée des lampes. Le
capitaine du lieu, ayant appris mon arrivée, m’y vint prendre pour
me conduire dans son manoir; il se nommait Janaki-Ketzéas, et passait
pour guerrier courageux, autant que pour homme juste. Son manoir
était à l’abri de surprise; mais n’était point, à proprement parler, ce
que dans le Magne on appelle un pyrgo ou château. Les forteresses de
ce genre sont en général isolées, situées hors des populations qu’elles
protègent ou plutôt qu’elles menacent, et perchées à la pointe de quelque
roc en pain de sucre : leur forme est à peu près partout celle de
la tour que nous avons décrite en nous arrêtant à Gargaliano (p. 1 7\ );
leur force et leur distribution intérieure varient selon la puissance 011
la fortune du possesseur. Il en est d’excellentes, et qu’il faudrait un
siège en règle pour réduire; d’autres sont tout au plus à l’abri d’un coup
de main.
Chez les primats, surtout au âjïng116» les femmes logent à part entre
elles et dans un appartement du pyrgo qui répond au gynécée des
anciens; aucun homme n’y saurait être admis, pas même le mari, qui
fait appeler dans la partie du logement qu’il occupé, celle de ses dames
ou demoiselles dont il a affaire.‘La mère, si elle vit, y exerce une sorte
de suprématie : considérée comme la première personne de la famille,
sa bru doit lui témoigner les plus grands égards ; les soeurs y sont aussi
recueillies lorsqu’elles n’ont point de mari chez qui elles puissent occuper
le premier ou le second rang. Dans ce réduit, qui servit peut-être de
modèle au sérail des Turcs, lorsqù’ayant conquis l’empire grec, ces
barbares en empruntèrent plusieurs usages en les modifiant à leur
façon; dans ce réduit, dis-je, pénètrent seulement les servantes, qui y
dorment dans quelque recoin, quand on ne leur permet pas d’étendre
leur couche au bas du gradin qu’une balustrade sépare de la portion
reservée pour les maîtresses; du reste, le confortable est chose absolument
ignorée dans ces repaires féodaux où le moyen âge semble s’être retranché,
pour nous montrer dans sa réalité quel genre de vie menaient nos
aïeux dans leurs donjons. Les cheminées qui, pendant deux mois d’hiver,
y seraient nécessaires, et les croisées vitrées, y manquent entièrement
; les parois des meilleures pièces sont tout au plus blanchies à la
chaux; des armes y sont accrochées et en font le seul ornement; on n’y
voit ni lits, ni fauteuils, ni chaises; un divan tout au plus y tient lieu
de ces diverses choses. Il n’y existe point de tables, encore moins de
consoles, de guéridons ou de secrétaires; ce sont des coffres ou bahuts,
quelquefois cependant d’un certain prix à cause de leurs ornemens, qui
en garnissent le pourtour; on renferme dans ces sortes de magasins tout
ce qu’on possède, depuis la plus vile chaussure jusqu’au linge de corps,
aux trésors et aux titres de famïïie. Les dames, quand elles se font
mutuellement des visites, aiment à les faire ouvrir, pour étaler les bijoux
et les beaux habits qu’on y conserve, et qui se transmettent de génération
en génération. Les seigneurs étalent également avec complaisance aux
yeux de ceux qui les viennent visiter, ce qu’ils y ont de plus précieux,
comme aux temps barbares de notre histoire le faisaient nos rois eux-
mêmes , qui n’étaient guère avec leurs hauts barons que des capitaines
a la manière des Maniotes : leur territoire et leur puissance avaient
plus d’étendue; voilà tout: et plus d’une guerre de château à château,
n’eijt d’autre source que cette vaniteuse coutume.
Le capitaine Ketzéas, lorsque nous fûmes montés dans son manoir
par une échelle, nous ayant fait donner à laver, présenter ensuite le