sée de verdure sur ses deux flancs , le ciel paraissait sur nos têtes comme
une bande lumineuse ; mais les rayons du soleil, qui doraient le faîte des
hauteurs d’un seul côté, ne pouvaient encore, à l’heure qu’il était, plonger
jusqu’à nous. Le lit du fleuve n’y avait guère que quatre ou cinq
mètres de large : l’eau qui s’y précipitait, fougueuse et trouble, mugissait
encaissée entre des rochers, que la rapidité de son cours mine,
détériore et culbute de distance en distance ; ce ne sont point des cascades
à proprement parler, du moins quand nulle crue ne change l’état
des choses; mais on reconnaît les traces de débordemens à une hauteur
considérable, soit à droite, soit à gauche, où des arbres déracinés,
d’énormes pierres disloquées et des dépôts de sable mêlés de débris
végétaux sont accrochés, mêlés confusément et abandonnés en masses
immenses. Tout ce grand fracas n’avait pourtant rien d’imposant, il n’était
qu’affreux, et le sinistre tableau qu’il présentait ne dédommage point
des fatigues qu’on se doit donner pour en venir considérer le jaunâtre
désordre; néanmoins nous y pûmes constater la manière dont le lac, que
formait primitivement l’Eurotas, avait dû se faire tortueusement jour
au travers des monts transversaux dont se formait sa rive méridionale.
Cependant il nous restait encore de rudes épreuves à subir ; quand
nous eûmes assez étudié les rapides, et qu’il fut question de retourner
sur nos pas, l’idée de remonter par où nous étions descendus, ne nous
vint même pas, nous tenions tacitement la chose pour impraticable;
mais les embarras ne firent que changer de nature, en descendant le
fleuve par le fond de son encaissement : son lit tortueux venant, en
se coudant de distance en distance, creuser alternativemént des parois
perpendiculaires et d’effrayante hauteur ; n’en pouvant remonter les
coupures ou les franchir, il fallait à chaque sinuosité descendre dans
l’eau presque glaciale, et traverser l’impétueux courant au risque d’être
emportés. Nous en eûmes souvent jusques à la ceinture; et lorsque,
ayant perdu nos chaussures, nous devions, en sortant de l’eau froide,
poser nos pieds froissés et meurtris sur le sable ou les rocs du rivage,
nous en trouvions l’ardeur insupportable. Huit à dix fois de suite dans
un espace de trois lieues au plus, et durant quatre heures de marche
au moins, nous dûmes subir de si rudes et dangereuses alternatives.
Il était cinq heures de l’après-midi lorsque, excédés de fatigue et
n’ayant rien pris de tout le jour, nous rejoignîmes notre troupe au
hameau d’Ali-bey, situé sur la rive gauche de l’Iri, vis-à-vis Scala; chacun
y était inquiet de notre longue absence et en proie à de fâcheux
pressentimens, qui ne tardèrent point à se réaliser, Yirlet s’étant presque
aussitôt trouvé saisi par une violente fièvre î ce fut le premier accident
sérieux du voyage, mais non le dernier. Prévoyant que plusieurs
de nos compagnons allaient aussi payer tribut à la privation du sommeil
et aux émanations malfaisantes des marais d’alentour, je me décidai
sur-le-champ à gagner le plus promptement possible Monembasie, où
j’espérais que les Cousins ne nous poursuivraient pas, et dont le séjour
du moins n’était point réputé malsain. Le nom de Malvoisie, qu’on
donne quelquefois à cette même ville, réveillant en moi le souvenir du
nectar qu’on appelle aussi Malvoisie sur les tables recherchées, j’y
supposais devoir etre de riches vignobles, de beaux vergers et de frais
jardins. Hâtés de nous en rapprocher, nous parcourûmes dans la soirée
meme ce qui restait a traverser des plaines d’Hélos; j’eus à peine le
temps de discerner que la culture en était assez riche, et que des lagunes,
s’y étendant le long de la mer, en durent de tout temps faire un séjour
dangereux. Apres avoir passé près d’une fontaine environnée de tombeaux
turcs, traversé le lit tari du Mariorevma, longé une série de
rochers calcaires, disposés en mur, et monté au village de Birnico, où
se voit une église assez bien bâtie, nous vînmes, au tombant du jour,
camper non loin de l’endroit où fut Hélos, dont je crois qu’il n’existe
plus rien. DesYellanis énormes étaient épars en ce lieu, avec les plus
grands Lentisques que j’aie jamais rencontrés. Les puits, où nous avions
espéré trouver de l’eau potable, étaient à sec, celle qui remplissait les
bassins d’une assez grande fontaine construite en pierres, et qu’on découvrit
près du lit d’un torrent bordé de Nérions et de Gatiliers hauts de
vingt pieds, avait été toute souillée par un troupeau qui venait d’y
boire; il fallut donc renoncer à se désaltérer, et lorsque, nous étant jetés
sur nos couches brûlantes, de nouvelles myriades de Cousins commencèrent
à nous tourmenter, d’innombrables bandes de Chacals, accourant
de tous côtés durant l’obscurité profonde, ne cessèrent de faire enten