À peu de distance de Kamaria, jusqu’où s’étendent les racines des
montagnes, commence la grande plaine insalubre dont on est séparé
par l’embouchure de ce qui ressemble le plus à un fleuve dans toute
laMorée : ce n’est point celle de l’Eurotas, qui se trouve à près de trois
lieues dans l’Ouest, mais du Yasilipotamos (fleuve royal), ainsi nommé
à cause du volume de ses eaux. Marqué comme un faible ruisselet dans
la carte de Gell, étendu jusqu’au Taygète dans celle de Lapie, son cours
n’a pas sept mille mètres de longueur; mais sa largeur est à peu près
celle de la Seine dans le petit bras, durant les moyennes eaux. De
magnifiques Roseaux se balançaient sur ses deux rives formées de terre
et de galets, contre lesquels croissait étroitement appliquée la petite
espèce européenne d’Héliotrope sans parfum (n.° 244) : une habitation
protégée par un pyrgo, et qui partout serait réputée assez confortable
avec ses jardins bouleversés, s’élevait à peu de distance ; un grand
Yellani abattu fut le pont dangereux sur lequel nous dûmes passer.
Marchant ensuite le long de la plage du golfe de Laconie entre de
petites dunes de sable mobile, où le Pancratium (n.° 447) croissait en
abondance, nous ne tardâmes point à rencontrer une autre embouchure,
où l’on avait de l’eau jusqu’aux reins, et qui n’était point encore celle
de riri ; c’était l’Hagiosthéorodos, dont les sources sont les mêmes que
celles du Yasilipotamos. Nous avions cheminé deux heures au plus en
herborisant et chassant? quand nous trouvâmes sur la plage des amas
pyramidaux de Concombres, de Melons et de Pastèques, qu’y venaient
acheter, pour leur chargement, deux embarcations ioniennes, presque
échouées dans une sorte de petit bras de mer : cet enfoncement était
l’embouchure dont nous venions de déterminer la position méconnue,
que tous les habitans du pays nous nommèrent Iri, qu’aucun ne confondait
avec le Yasilipotamos traversé le matin; mais que les cartes s’obstinent
à n’en pas distinguer. Cette embouchure est située à peu près vers
le milieu de l’arc de cercle fort ouvert, qui termine le golfe de Laconie;
on la peut manquer quelquefois parce qu’elle est sujette à s’ensabler;
tandis que celle du véritable Yasilipotamos demeure toujours largement
ouverte. Ici la plage est basse et le fond vaseux. Si nous eussions
voulu nous adonner à la recherche des coquilles et à la pêche, nous
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eussions pu y trouver quelques nouveautés ; mais je ne sais quel frisson
de fièvre semblait déjà poursuivre la Commission, et chacun, près d’être
atteint, fut surpris d’éprouver un besoin de repos qu’il n’avait jamais
connu; je l’attribuai d’abord à l’insomnie complète de la triste nuit que
nous venions de passer. Cependant le soleil embrasait l’espace : des ondulations
de chaleur donnaient à la vaste et marécageuse plaine une
sorte de mobilité et d’incertitude de formes, où se mêlaient quelques
effets de mirage ; des Salicornes (n.os 423 et 430), des Statices (n.°2),
des Soudes (n.Q 359), l’Éphèdre (n.° 4321), la Renouée (n.° 525),
l’Harmale (n.°607), la Cresse de Crète (n.° 361), des Euphorbes avec
quelques autres plantes des lieux maritimes, en composaient l’austère
végétation, que traversait, livide et comme s’il eût été stagnant, ce même
cours d’eau que nous avions passé, rapide et couleur de lapis, sur un
pont si pittoresque vers le milieu de son cours (p. 416); il pouvait
avoir ici trente pas de large, mais il n’y restait pas trois pieds de profondeur
à sa jonction avec les flots. Sa rive orientale, couverte deCana-
mèles (Saccharum Ravennoe, n.° 159), de Canevères et de Phragmites
(n.° 461) ondoyans, hauts et fort pressés, pouvait seule nous y faire
reconnaître le fleuve aux Roseaux beaux et nombreux; l’ayant remonté
par sa rive occidentale, en passant par les villages de Limonia et de
Saidiaga, où le fétide Métel de la zone torride1 étalait à la fois ses blanches
fleurs en forme de trompette, et ses gros fruits hérissés, nous vînmes
camper sur les bords de l’Iri à l’endroit où il entre dans le plat pays; ce
fut là que de nouvelles nuées de Cousins, fondant sur nous, finirent par
ne plus nous permettre un instant de sommeil. L’évêque de Gérakia, résidant
alors à Skala, nous vint offrir d’y partager sa demeure; mais les
moustiques n’étaient pas moins nombreux chez lui qu’au bord de l’eau,
où nous prîmes le parti de rester, imaginant que nous pourrions à la
fin braver les outrages de nos persécuteurs ailés, et qu’à force de veilles
1. Datura Metel, L. Cette plante, fort remarquable par son port qui n’est pas sans beauté, et
par son odeur «proit aussi dans les Indes; elle a été omise dans notre Flore.
2. Géraki, appelé aussi Hiéraki, l’antique Géronthra, est à quatre lieues environ de Skala, sur
la route la plus visitée de Mistra à Monembasie; on y trouve des ruines de divers âges. Guy de Nesle,
qui eut six fiefs en Tzaconie, y fit bâtir un fort château, selon le chroniqueur de Morée (traduction
deBuchon, p. i 3g).