entre la route et le rivage, qui dans cet endroit forme un enfoncement
très-prononcé, existent des ruines dignes de toute l’attention des géographes
et des antiquaires. Celle d’entre elles qui attira d’abord notre
attention est en briques ; des ornemens en stuc altérés en paraient
encore la voûte et dénotaient le bon goût romain. MM. les architectes,
qui en ont donné le plan et deux charmantes vues (Pl. 16), tiennent
ces restes pour ceux d’un bain : sur une butte voisine s’élevaient les débris
d’une église assez considérable du moyen âge; au pourtour, principale,
ment vers la côte, étaient des citernes comblées, beaucoup dé décombres,
de moellons et de fragmens de poterie, avec les traces d’un mur
qui pourrait bien avoir appartenu à quelque enceinte, et comme les
fondations d’une porte de ville du côté du Nord-Est, Ces témoignages
de l’existence d’une cité antique m’intéressèrent d’autant plus que Dan-
ville place Âsiné en ce lieu même, oii nous pouvons dire que nous
en faisions la découverte, puisque nul voyageur n’en avait encore
parlé1, et qu’on ne trouve pas un mot dans l’histoire moderne qui s’y
puisse rapporter. Il est bien entendu que nous n’attachons aucun mérite
à ces découvertes où le hasard conduit, et que la route qu’on est
forcé de tenir, vous contraint en quelque sorte à faire; quoi qu’il en
soit, l’opinion de Danville est justifiée par ce que rapporte Pausanias,
touchant une ville dont le Scythe de l’abbé Barthélémy ne fait pourtant
pas plus mention dans son périple du Péloponnèse, que Ptolémée, dans
lequel on ne trouvé pas même le nom d’Asiné. « Âsiné, dit l’auteur des
« Messéniaques a, était à quarante stades de Calonides, à la même
„ distance d’Acritas, promontoire qui répond à une petite île déserte
« nommée Téganuse,” Les cartes modernes, qui se sont généralement
accordées à retrouver Calonides dans Coron, ont conclu de ce passage,
qu’Asiné avait dû exister à moitié chemin de Coron au cap Gallo; or,
on ne trouve dans cette étendue non-seulement pas de traces d’une
ville, mais encore pas un site où il y en ait jamais pu avoir. La côtey
i . M. de Çhâ tpaubriand e t tous ceux q u i o n t été de Modon à C o ro n , n ’o n t p u cependant se
dispenser de passer to u t prè s de ces ru in e s , auxquelles o n n ’a tta ch a it aucune im p o rta n c e , faute
de consulter le re staura teur d é l a g éographie , q u i semble avoir été do u é d’u n e sprit de divination,
A la fin d u chap.' 54-
est dangereuse et ne présente pas la moindre anse dans laquelle pût
s’abriter la plus frêle barque; il nÿ a de difficulté que dans les quarante
stades supposés entre les deux villes. Mais si, ne tenant point
un compte rigoureux des mesures de Pausanias, qui ne sont pas toujours
fort exactes ou rapportées à une même donnée, on prend dans
la feuille 5 de notre planche III la distance du cap Gallo à Coron,
on la trouvera égale à celle qui est entre chacun de ces deux points et
les ruines qui nous occupent; c’est-à-dire que Calonides, Acritas et
Asiné y font à peu près un triangle équilatéral. C’est là probablement
ce qu’entendit exprimer Pausanias, si bien compris par Danville, de
qui Strabon confirmerait encore le témoignage par un passage formel,
si, au milieu de la confusion qui règne dans tout ce qu’écrivit ce géographe
sur le Péloponnèse, il ne se contredisait quelques lignes plus
bas. «Les sept villes, dit-il1, qu’Agamemnon promit à Achille, étaient
« sur le golfe de Messénie, et sur un autre golfe voisin, nommé golfe
« d’Asiné, du nom d’Asiné, ville de Messénie. ” Or, cet autre golfe
ne répond-il pas précisément à celui qu’on nomme aujourd’hui port
Lambro? celui au fond duquel nous trouvons des restes si importans
d’antiquité? qui offre encore un très-bon mouillage quand les vents du
Sud ne sont pas trop violens ! et dans qui Gell n’hésite point à reconnaître
ce port des Phéniciens ou Phénisques, mentionné par les anciens?
Un tel abri n’avait pu être négligé dans un temps ou, naviguant le long
de terre, les marins attachaient une grande importance aux moindres
plages sur lesquelles pouvaient se tirer leurs navires, surtout quand il
fallait se préparer à passer d’un golfe dans un autre, en doublant un cap
dangereux. Telle est au reste l’insuffisance des données qu’on peut réunir
pour fixer la position de ces ports, que M. Boblaye, dont l’avis est d’un
poids à peu près concluant en fait de géographie péloponnésiaque, place,
dans la planche II de notre atlas, Colonis ou Goloné dans l’endroit oii
nous croyons reconnaître Asiné, et Asiné à Coron, où tous ses devanciers
avaient placé Colonis. Sans préjuger de la valeur des argumens dont il
étayera ce changement, nous pensons que le port Lambro ou Phénique
demeura une ville maritime jusqu’assez avant dans le moyen âge; une
â. Lfb, III, cap. 4.