quelques cloisons, entre lesquelles sont taillés des sépulcres, dont le
bord extérieur ne s’élève pas à hauteur d’appui; les couvertures de ces
sépulcres ne se retrouvent pas. Dès long-temps violés, aucune inscription
ne peut faire connaître aujourd’hui dans ces tombeaux muets
quels furent ceux dont on y déposa les restes. Un terreau noirâtre les
remplit, et je ne sais si l’on découvrirait dans sa profondeur quelques
débris humains; dans ce que nous en pûmes retourner avec la pointe
de bâtons coupés sur les arbustes d’alentour, nous ne trouvâmes que
des ossemens a demi pourris de moutons, qu’y ’avaient probablement
apportés des chacals et autres carnassiers, lesquels doivent, quand la
grotte demeure déserte, s’y retirer, afin de dévorer leur proie en pleine
sécurité. Une pauvre Grecque, s*y étant établie, en avait éloigné ces
bêtes sauvages. Agée de vingt ans au plus, et cependant tonte flétrie,
on reconnaissait, à travers l’étoffe grossière dont les grisâtres lambeaux
lui formaient une sorte de tunique, qu’elle avait été d’une parfaite
beauté; il lui en restait seulement ce que la plus effrayante maigreur
ne saurait faire disparaître; de grands yeux bleuâtres à prunelle de
jaïet et bordés de longs cils plus noirs encore; des dents admirablement
rangées, dont la blancheur demeurait celle de l’ivoire, et des cheveux
foncés en touffes ondées qui, lui descendant au niveau des genoux,
voilaient une partie de sa misère. La malheureuse habitait celui des bas-
côtés du souterrain qui fut creusé dans la paroi de gauche, où deux
soupiraux carrés , indiqués sur le croquis que je ne manquai pas de
prendre pour servir de vignette finale du présent chapitre, donnaient
accès à quelque peu de clarté : elle s’y était fait une sorte de chambre,
en se fermant par un tambour composé de moellons bruts gauchement
placés les uns sur les autres, depuis le sol jusqu’au plafond de la grotte.
Un étroit espace, demeuré sans pierres entre la fin de ce fragile mm’
et le mur éternel du fond de la catacombe, servait d’entrée au réduit,
et s’ouvrait en retour dans un recoin ténébreux, où nous ne l’avions
point distingué, à cause de l’obscurité, quand nous visitâmes les sépulcres;
ce fut seulement lorsque, croyant avoir tout reconnu, nous
allions partir, qu’ayant regardé par l’un des deux soupiraux ouverts
en manière de fenêtre, je vis qu’un caveau celé avait échappé à nos
recherches. La Grecque y reposait sur une litière de branchages que
recouvraient quelques peaux de brebis. Je ne l’y aperçus que vaguement
d’abord, comme à travers une lueur crépusculaire ; réveillée par l’ex-
damation qui m’échappa, épouvantée à l’apparition d’une tête vivante,
elle se leva précipitamment, mais avec effort, et chacun de ses mouve-
mens trahissant une douleur, elle s’échappa pourtant avec une certaine
légèreté dans la profondeur de son antre : je l’y vis s’effacer à travers
l’épaisseur croissante des ténèbres, comme eût fait une ombre que des
exorcismes venaient contraindre, en rompant les charmes qui la tenaient
évoquée, de rentrer au fond de celle des tombes voisines qu’elle avait
laissée vide. Ainsi disparut sans doute Euridice aux yeux d’Orphée dans
les profondeurs de ce Ténare que nous irons bientôt interroger, et
dans les%rottes duquel de poétiques traditions plaçaient les portes de
l’empire des morts.
Quand mes yeux se furent accoutumés à l’obscurité du funèbre
réduit, j’y distinguai encore un objet oblong et blanchâtre, que deux
cordes, fixées dans les parois opposées, tenaient suspendu entre le sol
et la voûte. Comme je m’apprêtais à passer par le soupirail, pour voir
ce que ce pouvait être, de faibles cris sortirent de cette sorte de paquet;
la pauvre Grecque, qui reconnut, dé l’enfoncement-où elle s’était réfugiée,
que nous étions Français, et conséquemment Kcthm eQsvh de
bons seigneurs), apparut; s’étânt dirigée vers l’objet dont je paraissais
occupé, elle en tira un petit enfant qui s’y trouvait roulé entre deux
toisons, et s’approcha en me le montrant : il était superbe, rose et
potelé comme un amour; l’ayant caressé et baisé de toutes seS" forcés,
elle le tourna et retourna en tous sens, comme pour me faire connaître
qu’il ne pâtissait pas ; remarquant alors l’émotion que me causait sa
pantomime, ses yeux se rallumèrent avec une expression indéfinissable
de tendresse maternelle; je compris à son regard qu’elle voulait dire :
« voyez comme il est gras quand je suis décharnée; il est ma seule
« occupation; c’est tout ce qui m’est resté avec assez de lait pour le
« nourrir : il ne maigrira pas, lui, tant que la source ne sera pas tarie. *
Du reste la pauvre femme ne prononça pas un mot; ses gestes exprimaient
bien mieux sa pensée que tout ce qu’elle eût pu me dire en grec mo