dérivé par corruption de Minoa Embasis; quoi qu’il en soit, la ville
antique, éloignée de la moderne de deux petites lieues environ vers le
Nord-Nord-Est, ne consiste plus qu’en blocs de pierres culbutés, confondus
avec les rocs également en désordre dont se compose tout le
canton; mais son enceinte se reconnaît sans qu’on en perde un instant la
trace tout autour, à mi-côte, encore élevée de quelques pieds en certains
endroits, cyclopéenne, polygonale et hellénique; les soubassemens des
tours carrées qui la flanquaient, y subsistent fort distinctement, avec
les vestiges d’une entrée. Dans le ravin septentrional était une chapelle
âppliquée contre l’escarpement de droite, et qui représente évidemment
un lieu révéré des habitans primitifs; il se trouve des grottes, des sources
et une vieille tour, parmi les hauteurs riveraines de la gauche, qui
sont également arides et hideusement rocailleuses.
Quand nous fûmes rendus au pyrgo de Kranata, qu’on trouve au bord
de la mer, avec ses jardins, le mercure du thermomètre centigrade marquait
35 degrés : c’était en ce lieu qu’aboutissait le torrent dont nous
avions suivi la rive gauche; et de l’eau douceâtre, épaissie par une
multitude de larves de Cousins, s’agitant pour se métamorphoser, y était
retenue par une barre de sable qu’avait rejeté la mer. Des Orangers et
des Citronniers, se mêlant à d’autres espèces d’arbres fruitiers, donnaient
un peu d’ombrage; dans l’endos d’une sorte de ferme, qui paraissait,
de l’autre côté du torrent, dépendre de la maison de campagne fortifiée,
se balançaient aussi de majestueux Palmiers, à l’un desquels pendaient
des régimes dont plusieurs fruits semblaient devoir atteindre sous peu
à leur parfaite maturité.
A partir de l’endos des Palmiers, il restait environ une lieue ét demie
à faire pour arriver à cette Monembasie que je rêvais toujours devoir
être une ville charmante et secourable; cependant plus nous en approchions,
plus le pays devenait affreux et stérile : des monts sans majesté,
composés dé pierres brunâtres ou grisés, et monotones dans leur géÿire de
confusion, émanait une chaleur dévorante; un roc immense, tronqué,
dont les flancs, perpendiculairement coupés en divers endroits, rappelaient
l’aspect des murailles des gigantesques pyramides du désert,
s’élevait devant nous du sein des flots; Monembasie, que je ne pouvais
apercevoir, en occupait les radnes orientales; enfin nous reconnûmes
que, non moins triste et brûlant que ses alentours, le terme de notre
voyage était une île sans verdure et sans eau, rattachée au continent par
un pont en bois, que soutiennent des piliers en bâtisse, et dont l’entrée
est défendue par une tourrDe ce pont aux murs d’enceinte, que nous né
pouvions même encore distinguer, il restait à peu près deux mille
mètres à parcourir. Comme certaines formalités étaient nécessaires pour
pénétrer dans la place, parce qu’on attribuait à des factieux le projet de
s’en emparer, et qu’il n’eût pas fallu moins de deux heures pour trouver
le commandant, qui était juché au faîte de sa roche dans la citadelle,
excédés de fatigue et presque rôtis, nous prîmes le parti de camper au
bord de la mer, d’oii Baccuet prit la dernière vue que lui doive cet
ouvrage (pl. XXXIII), la fièvre l’ayant saisi comme il l’achevait. Notre
vieil André fut frappé presque en même temps.
Monembasie, que nous n’apercevions point, quoique nous y fussions
à peu près rendus, s’élève en amphithéâtre à l’exposition du Sud-Est;
sa montagne escarpée nous en cachait les maisons; une muraille crénelée
la ferme du côté par où nous y devions entrer, à partir de
brisures inaccessibles pratiquées dans le rocher jusques dans la baie.
Il n’y restait plus guère que 600 habitans; les rues en sont irrégulièrement
tracées, fort étroites, mal pavées ou dallées; à chaque pas
il y faut monter ou descendre; les maisons, percées de très-petites
croisées sans vitres, et la plupart surmontées de terrasses au lieu de
toits, ont presque toutes aussi un petit jardin clos, où toute verdure
avait disparu, excepté celle d’un vieil Amandier d’obligation, qu’on
cultive dans chacune. Dès les douzième et treizième siècles, ce lieu,
nommé Monobasia, était une place importante, réputée très-forte; on la
trouve comprise en 1223, sous le nom de Malvoisie, parmi les sièges
épiscopaux relevant de Corinthe. Dix-huit ans auparavant, Guillaume
de Yillehardouin s’en était emparé avec le concours des Vénitiens; et
la chronique de Morée1 rapporte avec détail l’histoire de cette conquête.
Lorsque Michel Paléologue eut repris Constantinople sur les Latins,
Baudouin, s’embarquant avec le peu de gens qui restaient fidèles à son
i . Livre H , p> 187, traduction de Buchon.