lement les villageois, au nombre de cent cinquante environ des deux
séxes et de divers âges; le cortège s’acheminait vers les décombres près
desquels nous étions campés, et que nous n’eussions pas soupçonné pouvoir
servir encore d’église : il n’y existait pas la moindre trace de toiture,
les murs en étaient totalement écroulés; je n’y avais rien reconnu qui
eût seulement l’apparence d’un autel; mais la place était consacrée ; c’était
là qu’on avait célébré l’office divin de temps immémorial, avant que les
Egyptiens fussent venus saccager Mavromati, et le papas avec les fidèles
y revenaient toujours, « dans la confiance que, la colère de Dieu s’étant
« enfin apaisée, le Président donnerait bientôt aux ouailles du vallon
« les moyens de relever leur temple.” Ce furent les paroles du bon
prêtre qui, ayant tiré de dessous sa souquenille une figure de la Panagie
peinte avec celle de son fils sur un morceau de planche d’un pied carré
tout au plus, posa cette espèce de mauvais tableau, fort dégradé, sur la
première roche, laquelle devint par là, et par une simple bénédiction,
digne de servir de trône à l’Eternel, Les paroles du pauvre ministre ayant
conséquemment fait descendre la divinité sur l’oratoire en quelque
sorte improvisé, chacun pria avec recueillement, mais debout. J’avais
été engagé à venir entendre cette messe, je m’empressai de me rendre à
l’invitation ; il faisait déjà une chaleur accablante, le soleil dardait ses
rayons les plus vifs sur nos têtes découvertes, chacun tenait à la main
un petit cierge dont la flamme s’effacait dans les flots de lumière dont
brillait la matinée, et je n’eusse jamais soupçonné qu’ils fussent allumés,
si je n’eusse, après la cérémonie, trouvé mes habits tout tachés de cire
fondue. Quand le prêtre eut cessé de nasiller, les hommes de leur côté,
et les femmes entre elles* formèrent deux chaînes d’union, s?embrassant
avec affection en prononçant les paroles que j’ai rapportées plus haut
et qui nous poursuivirent pendant tout le reste du jour; car, toutes les
fois qu’ils trouvèrent quelque nouvelle figure dans leur chemin, les
membres de la Commission ne furent pas plus exempts des accolades que
s’ils eussent été gens du pays; chacun alla ensuite s’accroupir pour
manger l’agneau pascal, c’estrà-dire dévorer sa part d’un mouton rôti.
0 André n’avait pas manqué d’en préparer deux, un pour nous et l’autre
pour notre suite ; il eût été mal vu des Grecs de notre suite et considéré
par ses compatriotes comme mauvais chrétien, si dans un si grand jour
il èût négligé le mets national et sacré; connaissant d’ailleurs un peu sa
religion, il n’ignorait pas que l’usage de servir dans certaines solennités
un animal cuit tout entier, vient de la source la plus respectable, et que
le patriarche Abraham1 avait présenté un veau aux trois anges envoyés
de Dieu, qui vinrent lui demander à dîner, comme ils allaient faire
brûler Sodome, Gomorrhe et autres grandes villes.
On se livra encore à la joie durant les jours suivans : une aire pratiquée
vers le milieu du village, à proximité de quelques maisons, dévint
une salle de bal, ou l’on dansa au grand soleil du matin au soir, aux
chants aigres d’un choeur de jeunes filles, qui en vérité semblaient
miauler douloureusement bien plus que se divertir.
La danse chez les Grecs est au niveau de la musique, c’est-à-dire barbare
et ridicule ; elle n’y dût jamais être un art soumis à des règles certaines
et ingénieusement calculées, en prenant pour élément tout ce que
les contours du corps humain et ses poses peuvent offrir de gracieux :
des sauts forcés, des attitudes extravagantes, des mouvemens désordonnés
hors de la ligne d’aplomb, des contorsions d’épaules et de cou, de
grands ronds de jambe la pointe en l’air, de bizarres ployés et des
tours sur soi qui, parodiant la pirouette, font voler en rond la fustanelle
du danseur, ou ce qui tient lieu de jupes aux danseuses, composent
la danse des Grecs, qui se tiennent par la main en sautant lourdement,
à peu près comme font nos paysans dans leurs rondes villageoises. Les
hommes et les femmes ne s’y mêlent point, et chaque sexe se trémousse
séparément; la gaîté semble pour eux bannie d’un exercice dont elle
fait l’essence dans le reste du monde; on dirait un travail, auquel on se
livre pour remplir quelque devoir. L’homme et la femme réputés les
plus habiles mènent chacun leur bande en chantant, faisant voltiger dans
la main qui demeure libre un mouchoir ou quelque autre guenille; il
nen était pas autrement dans l’antiquité, si l’on en juge parles sculptures
qui nous en sont restées, et où sont représentées les danses d’alors
que nous reconnûmes être identiquement les mêmes sur l’aire de Mavro-
jnati ; nous les avons retrouvées partout ou nous avons vu danser ces
». Genèse, chap. XVIII, V. 8.