Je ne m’étendrai pas sur la description de ces lieux, dont MM. les architectes,
qui les ont plus tard visités, feront connaître les principales ruines1,
et je renverrai le lecteur au croquis topographique de leur 45.® planche,
que nous dessinâmes, Boblaye et moi, dans la journée du \ 8, à travers
les chardons et les épines, dont les décombres et le sol étaient partout
embarrassés. Nous y reconnûmes beaucoup d’emplacemens de temples et
de constructions d’époques diverses; on sait que la Sparte primitive était
composée de plusieurs quartiers distincts , habités par des tribus différentes,
et qu’elle n’avait pas d’enceinte: sa citadelle même ne date que
des temps où les lois qui en avaient fait la force, étant tombées en
désuétude, ne suffirent plus pour la défendre. Les austères citoyens,
formés par Lycurgue, ne fréquentaient point les spectacles, aussi ne leur
attribuâmes-nous point la construction du théâtre dont nous occupions
l’avant-scène. Ce n’est également que beaucoup plus tard, après vingt
siècles au moins d’originalité et de gloire, qu’une république isolée du
reste de la Grèce par des moeurs anti-sociales, ayant usé son farouche
.patriotisme, des tyrans s’y établirent, et s’y fortifièrent. Nabis s’y dut
nécessairement retrancher, afin de mettre ses exécrables jours hors des
atteintes de la haine publique; et quand de petits princes, qualifiés de
Despotes sous la décadence de l’empire d’Orient, régnèrent au même lieu,
les débris des anciens monumens servirent de matériaux à des fortifications
dans lesquelles la population se concentra. Lorsque les conquérans
champenois vinrent soumettre le Péloponnèse, ils marchèrent sur Lacé-
démone encore importante, et dans laquelle commandait un certain Léon
Chamarète; s’en étant emparés, ils ajoutèrent de nouveaux ouvrages défensifs
à ceux qui ne leur avaient pu résister, et de cette époque, funeste
aux arts, date l’achèvement d’une irréparable profanation des restes
nombreux de l’antiquité, que les siècles de désastres et de dilapidations
antérieurs n’avaient pas suffi pour bouleverser entièrement.
« Lacédémonia était, dit la Chronique de Morée9, une belle et grande
« place bien garnie de tours et de murailles fabriquées de chaux : ses
« hahitans s’y étaient vigoureusement fortifiés, avec l’intention de ne
1. Depuis la planche 45 josqu’à 5 i.
2. Traduction du savant Buchon, p. i 45.
<< pas se rendre; pendant cinq jours les Francs tournèrent jour et nuit
¿ ‘en combattant tout autour, et dressèrent des trébuchets qu’ils avaient
« amenés de Nicli.” Quand Lacédémonia eut capitulé, Yillebardouin
en personne établit son quartier dans l’intérieur de la ville, dont l’évêque,
déjà mentionné au partage d’Andravida, avait eu pour sa part quatre
fiefs de chevalier. On y fit un second partage des conquêtes récentes;
et c’est tandis que le vainqueur y vaquait, en qualité de bail, qu’eut
lieu cette singulière mystification, qui transféra à messire Geoffroy la
souveraineté du pays. On a vu (p. 238) que le Champenois, en retournant
en France pour succéder à son frère aîné dans son comté, avait
fait promettre à son lieutenant de remettre le pouvoir au seigneur qu’il
lui expédierait avant une année révolue; nous renverrons à l’excellente
Histoire des Croisades, où M. Michaud raconte1, mieux que je ne le
saurais faire, comment le cousin Bobert fût berné de façon à n’arriver
en Grèce qu’après l’expiration dutermeoù Yillehardouin put se considérer
comme dégagé de la parole jurée, et demeurer, aux termes de sa convention,
maître des conquêtes, où il avait été de moitié avec Champlitte.9
« Pendant un tour que fit dans la contrée le nouveau prince, ajoute le
¿^chroniqueur, messire Guillaume trouva, à une lieue de Lacédémonia,
« un monticulé élevé au-dessus d’une plus haute montagne; cette posi-
« tion lui parut convenable pour y placer un fort, et il en fit effecti-
« vement construire un sur cette montagne et lui donna le nom de Mé-
« sithra, qu’il porte encore auj ourd’hui." Si l’on eût mis plus tôt à la portée
du monde savant les précieux documens que M. Buchon rendit lé service
inappréciable de faire connaître, on n’eût pas tant et si long-temps
1. Tome III, p. 3 60.
2. C’est à tort que dans l’introduction de son Itinéraire à Jérusalem, t. I.cr, p. cxxix, M. de
Châteaubriand répète, d’après Ducange, son guide dans ce qui concerne l’histoire de Grèce «qu’à
« la mort de Guillaume de Champlitte, GeofFrojr de Villehardouin hérita des biens de son ami et
« devint prince d’Achaïe et de Morée.» Guillaume était plein de vie à la cour du roi Phijippe-
Augustc long-temps encore après l’escamotage fait au parent qu’il avait envoyé pour lui succéder.
Si le célèbre écrivain que le savant investigateur des chroniques de Byzance induisit ici en erreur,
eût lui-méme remonté aux sources, il eût trouvé dans les documens originaux sur la Morée, qui
n’avaient point échappé au savant M. Michaud, l’anecdote qu’a si plaisamment contée notre illustre
confrère, et que M. Buchon a traduite avec une si agréable naïveté dans son recueil de chroniques-,
pages 147 à 160.