On courut lentement plusieurs petits bords durant la matinée ; nous
allions tranquillement de Charybde en Scylla, lorsque, le pilote ayant
prononcé qu’il n’y avait plus nul inconvénient à tenter le canal, nous
-nous y engageâmes : il est fort étroit ; lorsqu’on s’y trouve dans la
partie Ja plus resserrée, on pourrait entendre des cris hifmains poussés
de l’un et de l’autre rivage. On aperçoit de suite l’éblouissante Messine,
et l’on jpuit d’une vue magnifique, où les monts Pélores, vus sous un
nouvel aspect, s’élèvent tantôt arides et rougeâtres, tantôt délicieusement
verdoyans, en pentes mollement adoucies ou brusquement escarpées,
dont la base, enrichie de la plus belle culture, se fond en quelque sorte
dans une plage demi-circulaire, au bord de laquelle sont bâties parallèlement
à la mer des maisons à qui leurs portiques donnent un air monumental.
Ces maisons en grand nombre, où les toits sont remplacés par
des terrasses, dont le rez-de-chaussée se compose d’arcades, et que percent
d’innombrables croisées à contre-vents verts, produisent,' sur un fond
de eampagne qui s’adosse à des rochers en murs, le coup d’oeil le plus
ravissant que circonscrit un cadre ble„u, formé par le ciel et par les
flots. A tout instant ori*voit aller et venir des navires de toute espèce
et de toute grandeur : il ne se passe guère un quart d’heure sans que des
voiles s’y croisent. Le détroit de Messine représente, qu’on me passe la
comparaison, pour deux moitiés de la Méditerranée qu’il unit,4e Pont-
Neuf à Paris, où l’on trouve le plus de passans à toute heure, allant
d’fine rive de la Seine a l’autre.
Obligés de courir des bordées au plus près entre la Calabre et la Sicile,
pour sortir du défilé et gagner enfin la mer Ionienne, nous étions indéeis
sur le choix dn côté vers lequel nous devions tourner nos regards pour
jouir du tableau le plus riche; les deux vues sont également pittoresques:
doit-on négliger ULessine pour Reggio, Reggio pour Messine ? Le regret
de ne plus voir l’un, se mêle nécessairement au plaisir d’admirer l’autre :
à chaque instant le paysage^ change, les sites les plus variés se succèdent;
on navigue de surprises»en surprises, d’émotions en émotions;
mais cependant", au‘milieu de la grande diversité des paysages qui sè
succèdent,-on«reconnaît à tous Une physionomie commune, forméç de
grands contrastes que produisent d’affreuses fractures et des pentes
suaves; une verdure très-variée et la plus rebelle aridité, des maisons
bien carrées,symétriquement bâties, éblouissantes d’un enduit de chaux,
et des blocs irréguliers, noirâtres, entassés confusément, souvent d’une
manière menaçante,»Des gorges, s’puvrant à la mer en vallées riantes?
paraissent, enpse rétrécissant et quand l’oeil les remonte dans le lointain,
des précipices horribles; leurs parois sont couvertes d’arbres sombres
dont la feuille ne tombe jamais; leur, lit est encombré de galets énormes,
roulés les uns sur les autres avec fracas quand le cours impétpeux des
eaux s’y grossit par les pluies, brûlans de sécheresse et éblouissans de
lumière quand la saison d’été vient à régner. Les côtes de Morée et de
l’Archipel, vues de loin, m’ont offert en plusieurs endroits des tableaux
pareils; niais nulle part autant que sur la côte de Calabre les fôrrens
«ont cet aspect étrange qui résulte de la largeur et de la couleur de leur
lit, que lesMaux ne remplissent jamais d’un côté à l ’autre, où nulle
végétation ne peut s’établir quand l’eau n’y coule plus, et dans lesquels
le plus impétueux courant n’*esf. suspendu que par une période de
dessèchement complet. Dans les mois où l’on ne court pas le risque de
se noyer en traversant un torrent aussi glacial que furieux, on peut
yfêtre suffoqué par la chaleur exhalée de cailloux qu’échauffe un
soleil ardent, ou aveuglé par la lumière réfléchie qui jaillit des pierres
brûlantes.
La nature se montre ici dans ce qu’élle a d’extrême : le ciel est serei%,
la terre fertile, la végétation riche, les eaux salubres; mais les tempêtes
sont fréquentes; la terre, prête à s’entr’ouvrir pour vomir des laves,
menace sans cesse de livrer ses productions les plus précieuses, avec
ses habitans, aux horreurs des incendies souterrains; la chaleur vient
tarir la dernière, goutte des sourcé§, et des vent%brûlans y peuvent
dessécher en .peu d’instans jusqu’au dernier, brin d’hèrbe.
J’ai trouvé peu de lieux aussi bien cultivés que les deux rives du détroit :
celle de Calabre4est généralement plus boisée que celle de Sicile, mais
les vilj%es<et les habitations n’y sont,pas moins propres et nombreux;
une multitude de terrasses y soutiennent le sol ensemeficé sur les pentes
où* les pl mes le pourraient entraîner ; on y voit beatfcoup de beaux
oliviers; des vignes régnent en longs festons de perches en perches dans
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